Le tabou autour du mot « noir.e »

Je suis noire, pas black !

L’anglicisme « black » pour désigner une personne noire est de moins en moins toléré en France. Beaucoup de personnes noires se sont déjà exprimées publiquement à ce sujet – vous trouverez quelques références en fin d’article – et j’avais envie d’apporter ma pierre à l’édifice.

J’ai toujours senti qu’il y avait un malaise autour du terme « noir.e » en France mais c’est réellement en déménageant en Espagne et en fréquentant des personnes espagnoles et originaires de différents pays d’Amérique latine que j’ai compris à quel point ce malaise était problématique. En effet, je me suis retrouvée confrontée au même problème qu’en France ; c’est-à-dire que certaines personnes n’osaient pas dire le mot « negro/a » (« noir.e » en espagnol) et le remplaçaient par le terme « moreno/a » (« personne mate de peau » en espagnol). J’ai alors compris que cela ne pouvait être une coïncidence et que le tabou autour du mot « noir.e » cachait des raisons bien plus profondes que ce que l’on voulait nous faire croire. C’est pour cela que je réfute tous les arguments du type « ce n’est pas méchant », « je le dis sans mauvaise intention », « ce n’est qu’un mot », « c’est la même chose », etc.  

Pourquoi le terme « noir.e » est-il aussi tabou ?

Tout simplement parce qu’il nous renvoie vers notre passé colonial et esclavagiste. La France, tout comme l’Espagne, ont été des puissances coloniales et esclavagistes qui ont pendant des siècles réduit les personnes noires à un statut d’infériorité. Nous avons été déshumanisé.es, asservi.es, colonisé.es du fait de notre condition d’hommes et de femmes noir.es. Notre couleur de peau a ainsi longtemps été connotée négativement ; sous le regard blanc elle est devenue synonyme de sauvagerie, d’inintelligence, de laideur, de misère et j’en passe… Ces représentations  racistes sont toujours actives dans nos sociétés actuelles ; ce qui explique pourquoi certaines personnes ont peur de nous offenser en employant le mot « noir.e ».

Or, aujourd’hui en tant que femme noire (je parle en mon nom mais je pense que beaucoup de personnes noires me rejoindront), je souhaiterais qu’on soit libéré de ces stigmates qui nous ont été imposés par des sociétés racistes. Être noir.e constitue une part essentielle de notre identité et par-là nous sommes totalement légitimes de nous approprier cette dénomination et d’exiger qu’elle cesse d’être un signe de honte ou de malaise. En effet, quand je sens qu’une personne est gênée de prononcer le mot « noir.e », je me dis qu’inconsciemment cette personne a associé ce mot à une insulte ou du moins à quelque chose de très péjoratif. Oui, notre couleur de peau a une histoire très douloureuse mais bannir ou adoucir le terme « noir.e » n’atténuera en rien la violence de cette réalité.

Qu’est-ce que cachent les euphémismes « black » et « moreno » ?

Selon moi, ces deux euphémismes perpétuent une obsession de catégoriser les personnes noires.

D’une part, l’euphémisme espagnol « moreno/a » qualifie une personne mate de peau ; donc une personne qui, dans l’imaginaire collectif, serait plus proche phénotypiquement parlant d’une personne blanche. L’idée sous-jacente est qu’être perçu.e comme une personne plus claire de peau serait moins dérangeant, voire valorisant. C’est clairement un raisonnement coloriste. Le colorisme, c’est le fait de hiérarchiser les personnes d’un même groupe racial (en l’occurrence les personnes noires) sur la base du teint de leur peau : plus la peau d’un individu est claire, plus ce dernier est valorisé. Cette discrimination découle directement du racisme. Ainsi, cette tentative d’édulcorer la réalité en substituant le mot « noir.e » par « moreno/a » contribue et alimente le colorisme ambiant dans nos sociétés.

D’autre part, l’euphémisme français « black » fait quant à lui référence aux combats pour les droits civiques aux États-Unis, à la culture et aux célébrités afro-américaines. Comme l’explique merveilleusement bien Maboula Soumahoro, spécialiste des diasporas africaines dans une interview à Franceinfo en 2021  :

Je trouve cela d’autant plus insultant que la majorité des personnes noires en France ne sont pas afro-américaines ou d’origine états-unienne. Employer le terme « black », c’est donc pour moi figer dans le langage une image négative qu’on aurait des personnes noires françaises.

En somme, vous constatez que dans les deux cas, ces euphémismes participent à enfermer les personnes noires dans des cases et ne sont ni libérateurs ni gratifiants.

Il y a bien sûr d’autres raisons spécifiquement françaises pour lesquelles on évite d’employer le mot « noir.e » en français mais j’ai voulu partager avec vous la réflexion que j’ai mûri à la suite de mon séjour en Espagne durant lequel je me suis rendue compte que ce tabou dépassait les frontières françaises.

Références :

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