Petite remise en contexte : je m’appelle Giselle et je suis une jeune femme noire aux cheveux très crépus (cf. la photo ci-dessus). Maintenant que vous savez à quoi je ressemble, on peut rentrer dans le vif du sujet !
Le cheminement a été très long pour poser des mots sur le mal-être que j’ai pu ressentir vis-à-vis de mes cheveux pendant l’enfance et l’adolescence.
J’ai en effet pris beaucoup de temps pour réaliser toute la violence qui était proférée à l’encontre des personnes, et surtout des femmes ayant les cheveux crépus. Il faut dire que toute cette violence a toujours été normalisée par le fait que nos cheveux sont considérés mauvais par nature. Comme si cela justifiait tous les mots blessants, les moqueries, les comparaisons animalières, les séances de coiffage douloureuses, les défrisages et autres mauvais traitements précoces, l’accueil déplorable dans les salons de coiffure, etc.
Tout cela est permis car la nature ne nous a pas gâté·es en nous donnant des mauvais cheveux ! Des cheveux durs, difficiles à coiffer, voire incoiffables. Des cheveux bizarres, rigolos, qui ne tombent pas et qui partent dans tous les sens. Des cheveux qui poussent trop lentement, qui ne volent pas assez au vent pour être vus comme beaux et féminins. Des cheveux qui nous donnent une apparence négligée. Des cheveux qu’il est presque impensable de laisser au naturel tellement ils sont mauvais. Très vite, on nous pousse à les lisser à coup de fers chauds et de produits agressifs (tels que le défrisage), ou à les cacher sous des faux cheveux qui nous font paraître plus présentables. Alors, on s’habitue à cette image dénaturée de nous-mêmes et parfois on ne finit par se connaître qu’à travers cette image. Arborer sa chevelure naturelle en toute insouciance devient de l’ordre de l’impossible. Il y aura toujours quelqu’un, quelque chose ou cette petite voix intérieure pour nous rappeler que nos cheveux sont mauvais.
Pour ma part, j’ai mis fin à ce schéma infernal à mes 16-17 ans. J’ai peu à peu compris que la nature n’y était pour rien et qu’on était juste victime d’une société raciste qui nous avait collé une étiquette de mauvais cheveux. Nos ancêtres noir·es ont été les premier·es à en payer le prix. Leur chevelure crépue était perçue comme un marqueur de leur « négritude » (« noiritude » si vous préférez 😉, entendez par-là de leur identité noire) et représentait par conséquent aux yeux des colons un signe de leur prétendue infériorité.
Récemment, j’ai lu le livre Peau noire, cheveu crépu de la sociologue martiniquaise Juliette Sméralda. J’ai pu parcourir les multiples formes de violence que subissaient nos ancêtres noir·es car ils avaient eu la malchance de naître avec des cheveux crépus.
Je pense notamment à nos ancêtres chargé·es de l’hygiène corporelle des colons et de leur famille. Ils furent contraints de se familiariser avec une texture de cheveu lisse qui leur était étrangère mais qu’ils adoptèrent bientôt comme norme de référence. Aussitôt, sans leur peigne africain, leurs propres cheveux leur parurent difficiles et ils en oublièrent les techniques de coiffage. Les femmes domestiques en particulier développèrent ainsi un rejet pour ces cheveux dont le soin s’apparentait à une corvée et qu’elles devaient constamment cacher sous un chiffon par manque de temps pour les entretenir. Inconsciemment, elles transmirent à leurs enfants ce rejet d’eux-mêmes, à défaut de leur transmettre leur héritage culturel. Elles comparaient leurs enfants noirs aux enfants blancs exemplaires qui ne pleuraient jamais quand on les coiffait. Ces enfants furent tenus responsables de porter des « mauvais cheveux » qui peinaient à passer sous un peigne européen.
Je pense aussi très fort à ces bébés noir·es né·es dans les colonies, dont les cheveux étaient scrutés dès la naissance afin d’évaluer leurs chances de réussite dans la vie. Celles et ceux dont les cheveux semblaient trop crépus traînaient déjà le poids trop lourd d’un stigmate. En grandissant, ils se rendirent compte avec amertume que la société accordait plus de valeur à leurs semblables noir·es ayant une texture de cheveux moins crépue.
Vous l’aurez compris, mes cheveux portent toute cette histoire de violence, de domination que mes ancêtres noir·es ont vécu au plus profond de leur chair. En être consciente m’a permis de faire la paix avec moi-même, de mieux comprendre l’enfant et l’adolescente que j’étais qui détestait ses cheveux. Malheureusement, porter ses cheveux crépus n’est pas un acte banal. C’est renouer avec une partie de notre noiritude que certain·es de nos ancêtres ont dû renier. C’est dire « non » au mythe du mauvais cheveu crépu. C’est œuvrer à l’acceptation des cheveux crépus dans la société.


Une réponse à “Mes cheveux portent une histoire”
[…] Sachez que j’ai versé des larmes en lisant ce livre (ce qui est assez rare pour être souligné). Il parle de la représentation négative des cheveux crépus et de la peau noire dans la société et analyse la pratique du défrisage et de la dépigmentation de la peau chez les personnes noires. J’ai été frappée et très attristée de me reconnaître dans des scènes datant pourtant de l’époque de l’esclavage. J’ai pu ainsi mieux comprendre toute l’histoire et plus particulièrement les traumatismes que portaient mes cheveux. J’en ai d’ailleurs écrit un article. […]
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