Les duos blanc/noir dans les fictions

Vous aussi, vous avez soufflé quand vous avez lu le synopsis du film Karaoké ? Le voici pour celles et ceux qui l’auraient loupé :

« Après une soirée pleine d’excès, Bénédicte, célèbre chanteuse d’opéra, voit sa carrière s’écrouler. Fatou, femme de ménage et passionnée karaoké, est la seule à lui tendre la main. Elle a une idée derrière la tête : convaincre Bénédicte de participer au grand concours national de karaoké. La parfaite maîtrise vocale de l’une et la ténacité de l’autre pourraient bien faire des étincelles et les amener très loin ».

Michèle Laroque et Claudia Tagbo interpréteront respectivement les rôles de Bénédicte et de Fatou.

J’ai eu comme une sensation de déjà-vu en lisant ce synopsis. En effet, les fictions adorent représenter ce type de duo bien cliché composé d’un personnage noir et d’un personnage blanc.

Dans tous ces films, les duos de protagonistes ont pour point commun de représenter l’opposition blanc /noir bien ancré dans les imaginaires racistes. Ils alimentent l’idée, pourtant inventé de toutes pièces, selon laquelle les personnes blanches et noires seraient par essence des êtres radicalement différents. Le cinéma est un outil puissant par lequel on apprend et intègre que les Blancs et les Noirs n’occupent pas la même place dans la société. Voilà pourquoi, sans aller jusqu’à s’interdire de regarder ces œuvres,  je pense qu’il est important de garder son œil critique et de rester attentif aux messages qui nous sont véhiculés indirectement par ces œuvres.

Des stéréotypes raciaux en veux-tu, en voilà

Premièrement, vous remarquerez que dans ce genre de fictions, le personnage noir incarne tous les stéréotypes associés aux personnes noires : pauvre, banlieusard, délinquant, ayant une vie instable et un avenir peu prometteur, drôle, maladroit, etc. Le personnage blanc incarne tout l’inverse : riche ou bourgeois, cultivé, élégant, sérieux, rigoureux.

Ces fictions partagent de plus le même schéma narratif : le personnage noir va « décoincer » la personne blanche, ramener du peps dans sa vie tandis que cette dernière va lui permettre d’accéder à un monde élitiste et bourgeois. Je trouve que c’est particulièrement flagrant dans le film Intouchables, où Driss (Omar Sy) apprend à Philippe (François Cluzet) à s’amuser en lui faisant apprécier les bonnes choses de la vie (la vitesse, la danse, le sexe, la cigarette, l’humour…).

Une banalisation de l’humour raciste

Deuxièmement, les duos blanc/noir sont généralement un prétexte pour faire passer pleins de blagues racistes sous couvert d’humour, grâce à un scénario en apparence très déculpabilisant. De fait, les duos sont souvent comiques et entretiennent une relation de meilleurs ennemis-meilleurs amis. Il s’agit de deux personnes que tout oppose qui se rencontrent et se taquinent sur leurs « différences » mais qui réussissent finalement à dépasser ces « différences » pour vivre une belle histoire d’amour ou d’amitié.

Un exemple de scène comique du film De l’autre côté du périph. Pris en flagrant délit, Ousmane (Omar Sy) fait semblant d’être un sans-papier s’exprimant avec un accent « africain » prononcé, en train d’être menotté par François (Laurent Laffite), un policier blanc

Cependant, l’humour n’est pas sans conséquence sur nos vies de personnes noires. En effet, ce sont étrangement ces mêmes stéréotypes qui sont en jeu lorsqu’on parle de racisme ordinaire : les Noirs adorent s’amuser, ils sont drôles, ils ont le rythme dans la peau, ils sont forcément dans la précarité, l’accent « africain » est rigolo …. C’est la preuve que mine de rien, ces blagues s’infiltrent dans l’esprit des gens qui les reproduisent au quotidien.

Le docteur en droit brésilien Adilson Moreira parle d’ailleurs de racisme récréatif, « une pratique qui exprime un mépris dissimulé envers les minorités sous la forme de l’humour, tout en protégeant l’image sociale du « blagueur » qui ne peut ainsi être qualifié de raciste ». Il explique que l’humour empêche les minorités d’avoir une réputation sociale positive et d’être perçues comme des acteurs sociaux de valeur.

En somme, force est de constater qu’il est aujourd’hui très difficile pour un ou une scénariste française d’imaginer un duo de personnages blanc et noir sans tomber dans la facilité de jouer sur des stéréotypes raciaux. Je pense que le contexte français y est pour beaucoup. On vit encore dans un pays où on demande principalement aux personnes noires d’interpréter des rôles stéréotypés en lien avec leur couleur de peau (cf. mon dernier article sur le cinéma français).

N’hésitez pas à me partager votre avis en commentaire ❤ !

Sources :
  • Adilson Moreira, Le racisme récréatif. Anacaona Editions, 2020.
  • Régis Dubois, Les noirs dans le cinéma français. Lett Motif, 2016.

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