La « honte noire ». Racisme et propagande allemande dans l’entre-deux-guerres

Trigger warning : viol, stérilisation forcée

Je vous raconte aujourd’hui un épisode sombre de notre histoire que peu connaissent : le mythe de la « honte noire ». En effet, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les troupes coloniales françaises sont la cible d’une campagne de propagande et de diffamation raciste orchestrée par l’Allemagne.

Comment émerge la « honte noire » ?

Nous sommes au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’Allemagne est vaincue et signe le traité de Versailles. Celui-ci acte l’occupation de la Rhénanie, région allemande, par la France. Environ 100 000 soldats français sont envoyés en Allemagne pour occuper la Rhénanie. Parmi eux, on retrouve des soldats issus des colonies françaises. C’est une humiliation profonde pour l’Allemagne. Elle, qui autrefois était une puissance coloniale,  voit son sol souillé par des sujets coloniaux provenant d’une civilisation dite inférieure. Emplis de haine, nationalistes, revanchistes et racistes allemands orchestrent alors une campagne de propagande à partir de 1920 afin d’en finir avec ce qu’ils appellent la « honte noire ».

En quoi consiste la campagne de propagande ?

Cette campagne consiste en une animalisation des soldats coloniaux accusés de manière mensongère de commettre des atrocités contre le peuple allemand. Des brochures, des cartes postales, des médailles, des films, des pièces de théâtre les dépeignent comme des bêtes sauvages violant systématiquement les femmes blanches et perpétrant une multitude d’actes barbares (par exemple couper le nez, les oreilles et les parties sexuelles des Allemands, répandre des « maladies exotiques » dans la population, séquestrer les Allemandes, etc.). La campagne provoque une vague de peur à l’intérieur du pays mais elle vise surtout à alerter l’opinion publique internationale en vue de discréditer l’occupation française en Allemagne.

  • Franzozen im Ruhrgebiet ! [Les Français dans la région de la Ruhr], dessin signé A.M. Cay (1923)
  • Photo extraite du film de propagande allemande “La honte noire” (1921)
  • Médaille de propagande raciste représentant un femme allemande nue attachée à un pénis surdimensionné avec un casque de soldat français (1920)

Cette campagne puise bien sûr ses sources dans des représentations coloniales et racistes des hommes noirs. En particulier, la dénonciation de viols commis par les soldats coloniaux s’appuie sur le stéréotype de l’homme noir incapable de dominer ses pulsions sexuelles. Elle alimente l’idée selon laquelle ce dernier serait une menace pour la pureté des femmes blanches mais aussi pour toute la race blanche allemande qui court le risque de devenir métisse.

Les enfants nés des liaisons entre soldats coloniaux et femmes allemandes sont ainsi des véritables victimes du mythe de la « honte noire ». Etiquetés de « bâtards de la Rhénanie », ils souffrent de discriminations raciales et de marginalisation dans la société. Ils sont notamment soupçonnés d’être porteurs de maladies héréditaires et se voient imposer des examens médicaux sans autorisation de leurs parents, au nom de l’hygiène raciale du pays. En 1937, Adolph Hitler va jusqu’à ordonner la stérilisation forcée de ces enfants métisses. Ces stérilisations seront pratiquées par une commission spéciale de la Gestapo.

Et aujourd’hui ?

Je retire maintenant ma casquette de narratrice pour analyser cet épisode sombre. En effet, si j’ai décidé de raconter cette histoire, c’est aussi pour mieux mettre en lumière un sujet ô combien important : les masculinités noires. Les stéréotypes raciaux au fondement du mythe de la « honte noire » pèsent malheureusement encore sur les corps des hommes noirs aujourd’hui. La croyance que les hommes noirs seraient dotés d’une puissance corporelle et sexuelle est de fait toujours ancré dans les imaginaires. Elle transparaît dans les films, les clips de musique, la pornographie, le foot, les conversations entre potes, … où le corps de l’homme noir est sans cesse hypersexualisé et/ou admiré pour ses capacités physiques extraordinaires.

Il pourrait être tentant de rétorquer que ces clichés ne font de mal à personne puisqu’ils sont en apparence positifs. Néanmoins, comme en témoigne la campagne de la « honte noire », ces stéréotypes raciaux ont été fabriqués dans l’histoire à des fins de déshumanisation et d’exploitation. Ils ont servi à justifier la mise en esclavage et le travail forcé des personnes noires mais aussi le recrutement des tirailleurs dans les bataillons français. De surcroît, dans la pensée occidentale, le fait de conférer à l’homme noir des facultés physiques extraordinaires était surtout un moyen de lui retirer toute faculté intellectuelle afin de mieux l’assigner au bas de l’échelle humaine. Il ne s’agissait en aucun cas d’une forme de bienveillance !

On constate d’ailleurs que ces stéréotypes sur l’hyper-virilité des hommes noirs ont aujourd’hui des conséquences néfastes sur leur vie quotidienne. Ce n’est pas pour rien que les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes/maghrébins ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres » d’être contrôlés par la police (selon une enquête du Défenseur des droits de 2017). Je vous conseille en outre d’écouter cet épisode du podcast Les couilles sur la table sur les « masculinités noires » où les artistes Insa Sané et D de Kabal s’expriment sur les impacts de ces stéréotypes raciaux sur leur vie intime (stigmatisation, hypersexualisation, fétichisation, etc.).

Pour celles et ceux qui souhaitent creuser cette question, vous pouvez lire l’ouvrage intitulé Marianne et le garçon noir, dans lequel plusieurs hommes noirs s’expriment sur leur masculinité en France. Je ne l’ai pas encore lu, donc je ne peux pas vous donner mon avis !

À bientôt pour un prochaine article 🤎 !

Sources :

Une réponse à “La « honte noire ». Racisme et propagande allemande dans l’entre-deux-guerres”

Laisser un commentaire