Hola, aujourd’hui je m’attaque à un sujet sensible : les liens entre le milieu médical et le racisme. Bien heureusement, je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir été racialement discriminée en matière de santé mais je suis tombée à plusieurs reprises sur des témoignages de ce genre.
Si ce sujet est aussi sensible, c’est parce que dans l’imaginaire collectif la science médicale est neutre et objective. Or, en ce qui concerne le racisme, un rapide bond dans le passé suffit à attester le rôle prépondérant qu’a joué la médecine dans la construction des catégories raciales et des préjugés raciaux qui leur sont assignés. C’est l’objet du livre Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial (19ème-20ème siècles) de Delphine Peiretti-Courtis que je vous recommande vivement.
La médecine a longtemps vu des couleurs
Loin d’être aveugle aux différences, la médecine occidentale s’est pendant des siècles donnée pour mission de prouver l’existence des races. Ainsi, de nombreux scientifiques se sont évertués à définir des caractéristiques physiques qui seraient propres à la « race noire » et qui seraient le signe de leur infériorité : la pigmentation cutanée, la peau, le crâne, les traits du visage, la chevelure, les organes sexuels… Voici des exemples des théories raciales basées sur l’analyse des caractéristiques physiques de la « race noire » :
- La couleur noire serait la couleur de l’homme originel, ce qui prouverait le caractère primitif des personnes noires qui n’auraient pas évolué contrairement aux personnes blanches.
- Les personnes noires auraient un cerveau étroit. Cela montrerait qu’elles sont dominées non pas par leur raison mais par leurs émotions, leurs sens et leurs instincts.
- La partie inférieure du visage (du nez jusqu’aux mâchoires) des personnes noires serait surdéveloppée. Cela révélerait une prédominance des instincts primaires chez elles.
- Les personnes noires auraient des organes sexuels surdimensionnés parce que le sexuel primerait sur leur intellectuel.
Au-delà du corps, les médecins se sont intéressés aux pratiques culturelles de la « race noire » pour chercher des preuves de leur infériorité.
Il me semblait essentiel de commencer cet article en mettant en exergue les liens entre médecine et racisme. La question fondamentale est de savoir si la médecine d’aujourd’hui a su se débarrasser de tous ces préjugés raciaux qu’elle a elle-même construits. Dans la suite de cet article, je me penche donc sur deux exemples français qui témoignent de la difficulté d’éradiquer les biais et les préjugés raciaux en médecine.
La maternité des femmes noires au crible de la médecine occidentale
La littérature médicale du 19ème et du 20ème siècle a analysé la maternité des femmes noires africaines. Dans un premier temps, elle a adopté un discours qui encensait leur maternité : les femmes noires, plus proches de la nature, seraient plus fécondes, accoucheraient mieux et auraient des meilleures capacités d’allaitement. A l’inverse, dans un deuxième temps, leur discours est devenu beaucoup plus critique : les femmes noires, du fait de leur mode de vie, seraient indifférentes à leurs enfants, ne leur apporteraient pas les soins nécessaires, produiraient un lait de mauvaise qualité. C’est ainsi que la médecine occidentale a historiquement racialisé le corps des mères noires.
Une étude de la sociologue Priscille Sauvegrain publié en 2012 montre que ce processus de racialisation du corps des mères noires n’a pas totalement disparu du monde médical. Cette étude examine une pratique médicale nommée le « protocole de terme ethnique », qui consiste à prévenir les complications de fin de grossesse des femmes noires en pratiquant des césariennes ou en déclenchant prématurément l’accouchement.
Ce protocole, appliqué dans les maternités françaises au cours des années 2000, suppose que les femmes noires auraient des fins de grossesse plus à risque. Pourtant, cette idée ne repose sur aucun fondement scientifique et n’a été validée par aucune instance sanitaire ou comité d’éthique. D’ailleurs, en 2011 le Collège national des gynécologues et obstétriciens français recommande de mettre fin à cette pratique médicale.
Cet exemple met en lumière comment la médecine peut racialiser des patientes en leur appliquant des traitements différentiels du seul fait de leur couleur de peau.
Le préjugé de l’invulnérabilité des corps noirs
Tout au long du 19ème et du 20ème siècle, la médecine occidentale a construit le préjugé racial de l’invulnérabilité des corps noirs. Cette invulnérabilité des corps noirs se traduirait de deux manières :
- Ils seraient immunisées contre les maladies tropicales (paludisme, fièvre jaune, typhoïde, etc.)
- Ils seraient plus résistants à la douleur. « Les sens du Nègre n’ont pas tous un égal degré de développement. […] Le sens du tact est tout à fait émoussé chez lui, et non seulement le sens du tact mais la sensibilité générale, ce qui explique son apathie générale vis-à-vis de la douleur. C’est une des causes qui font que les opérations chirurgicales réussissent beaucoup mieux sur lui que sur le Blanc » (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1878). C’est cette supposée robustesse des corps noirs qui permettra de justifier l’exploitation de la « force noire » au profit de la colonisation à travers la création du corps des tirailleurs en 1857.
Les médecins à l’origine de ces théories se sont appuyés sur des observations de terrain ou des témoignages qui étaient eux-mêmes influencés par leur lecture raciale de la réalité. Par exemple, la résistance des Noirs face à la douleur est tantôt attribuée à leur caractère animal ou sauvage, tantôt à leur peau épaissie par le soleil. Impossible d’être neutre dès lors qu’on amalgame des personnes au nom de leur couleur de peau et qu’on les considère comme inférieurs !
À l’heure actuelle, plusieurs expériences de patients et patientes documentées par les médias ou relatées sur les réseaux sociaux laissent penser que ce préjugé racial a bien survécu dans le milieu hospitalier. Le cas le plus tristement connu est celui de Noémie Musenga, une jeune femme noire morte à l’hôpital après qu’une standardiste du SAMU a tourné en ridicule sa douleur. Ces affaires ont ainsi fait émerger un débat autour de ce que l’on nomme le « syndrome méditerranéen ». Ce terme désigne une croyance chez certains soignants et soignantes à considérer que des personnes d’origine nord-africaine et africaine exagèrent leurs symptômes et leurs douleurs.
Dernièrement, une étude parue dans l’European Journal of Emergency Medicine a confirmé l’existence de discriminations dans la prise en charge de patients et patientes dans les services d’urgence. Cette étude a été menée entre le 14 juillet et le 15 août 2023 auprès de 1 563 médecins et infirmiers urgentistes en France, en Suisse, en Belgique et à Monaco sous forme de questionnaire. Elle prouve qu’à symptômes identiques, les femmes sont moins prises au sérieux que les hommes et les personnes noires moins que les personnes blanches. « Dans 58 % des cas, l’urgence vitale a été associée à une image d’apparence ethnique blanche, contre 47 %, quand l’apparence était noire. Il s’agit d’un diagnostic d’urgence vitale dans 63 % des cas lorsque l’image associée était une image d’homme blanc contre 42 % pour une femme noire ».
En guise de conclusion, je soulignerai l’importance de poursuivre des études scientifiques mettant en lumière les liens entre santé et racisme car elles sont pour l’instant très rares. Il s’agit de garantir l’égalité et la justice de notre système de santé.
Sources
- PEIRETTI-COURTIS, Delphine.Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial (19ème-20ème siècles). Editions La Découverte, 2021, 354 p.
- Priscille Sauvegrain, « La santé maternelle des « Africaines » en Île-de-France : racisation des patientes et trajectoires de soins », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 28 – n°2 | 2012, mis en ligne le 10 octobre 2012, consulté le 15 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/remi/5902 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.5902
- Podcast « Ce que fait le racisme à la santé » sur France culture
- https://www.20minutes.fr/sante/2270911-20180515-mort-naomi-musenga-jeune-femme-victime-prejuge-baptise-syndrome-mediterraneen
- https://www.bondyblog.fr/societe/sante-une-etude-europeenne-revele-des-discriminations-racistes-et-sexistes-aux-urgences/
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/sante-notre-reflexion-medicale-est-sexiste-et-raciste-une-etude-sur-les-urgences-montre-des-discriminations-dans-la-prise-en-charge-des-malades-2904383.html
- https://www.huffingtonpost.fr/life/article/je-suis-noire-et-toute-ma-vie-les-medecins-ont-minimise-ma-douleur-temoignage_227104.html
- https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/invite-rtl-c-est-le-syndrome-mediterraneen-david-perrotin-revient-sur-la-mort-d-aicha-accusee-de-simuler-un-malaise-7900329829

