Le communautarisme : ce mot est sur toutes les lèvres et moi il me fait grincer des dents ! Il est employé pour désigner des formes d’entre-soi et de repli communautaires, avec une connotation extrêmement négative. C’est dans les années 1990 que ce terme s’est imposé dans les débats politico-médiatiques français pour cibler des groupes minorisés. J’ai donc grandi en écoutant ce terme mais ce n’est que depuis quelques années que je me suis rendue compte, grâce à mon éducation antiraciste, du caractère problématique que revêtait son utilisation. Il faut toujours se méfier des mots qui sont employés exclusivement pour s’attaquer à des groupes minorisés.
Dans cet article, j’expliquerai ainsi en quoi l’emploi du terme « communautarisme » est bien souvent selon moi imprégné de racisme en France.
Posez-vous les bonnes questions !
Je sais bien que nous sommes en France, un pays de tradition universaliste dans lequel tous les citoyens ne sont censés appartenir qu’à une seule communauté : la communauté nationale. Je peux donc tout à fait comprendre que les communautés soient vues d’un mauvais œil, contrairement à un pays comme les Etats-Unis.
Néanmoins, je vous invite à vous poser les bonnes questions ! Pourquoi seules les personnes non blanches sont taxées de « communautarisme » ? Comme si les personnes blanches étaient de leur côté très ouvertes et plus enclines à la mixité. Personnellement, j’ai grandi en écoutant ce style de commentaires : « les Noirs / les Asiat / les Arabes ne restent qu’entre eux ! ». Je me souviens même d’une fois où une professeure au lycée a dit devant toute la classe « pourquoi les Noirs se mettent toujours ensemble au fond de la classe ?! ». Cela a fini par faire germer en moi un sentiment de culpabilité. Je nous (« nous les Noirs ») en voulais d’être trop communautaires et j’avais l’impression que cela nous rendait trop visibles aux yeux des autres. En somme, j’étais convaincue que ces commentaires étaient mérités.
Comme expliqué en introduction, c’est grâce à mon éducation antiraciste que je me suis rendue compte du double standard qui se cachait derrière ces commentaires. Car si certes il existe des comportements communautaires entre personnes non blanches, il en est de même pour les personnes blanches. Sauf que ces derniers ne se voient jamais reprochés d’être trop communautaires. Si on prend l’exemple du cinéma, les films américains avec un casting intégralement noir sont souvent qualifiés de « communautaristes » par le public français. Pourquoi les films avec un casting intégralement blanc ne reçoivent-ils pas le même traitement ? Tout simplement parce que nos yeux ont tellement été habitués au « communautarisme blanc » qu’il passe inaperçu.
En outre, il m’est déjà arrivé d’entendre des personnes blanches dire d’autres groupes qu’ils ne se mélangeaient pas suffisamment alors qu’elles-mêmes avaient un entourage presqu’exclusivement blanc. Avec le recul, je pense que ces personnes blanches ne se considèrent pas comme communautaires parce qu’à juste titre, elles ne se perçoivent pas à travers le prisme de la couleur de peau. En d’autres termes, elles ne fréquentent pas des « personnes blanches » mais des personnes avec des personnalités, des goûts, des histoires de vie, etc. variés. Pourquoi dès lors n’est-il pas possible d’appliquer ce même raisonnement aux personnes non blanches ? Prenons l’exemple de la communauté noire. Elle comprend une diversité d’origines, de religions, de classes sociales, de personnalités et ainsi de suite mais ça, personne ne le voit ! Voilà pourquoi on accuse beaucoup plus facilement de « communautaristes » les personnes non blanches.
Pourtant, plusieurs sociologues (Patrick Simon, Jules Naudet, Bruno Cousin, Marwan Mohammed, Julien Talpin) attestent qu’en dépit des apparences, les populations non blanches ne sont pas les plus communautaristes. En effet, comme l’explique le sociologue Marwan Mohammed dans une interview pour Melting Book, être communautariste implique de « se mettre à l’écart des autres, de se mettre contre les autres et de réclamer des choses qui ne concernent pas les autres », ce qui n’est pas à la portée de tout le monde puisque cela requiert du pouvoir. Il n’est par conséquent pas étonnant que le communautarisme des élites soit le plus puissant. Elles ont par exemple les moyens de résider dans des quartiers au loyer élevé et d’empêcher par des moyens divers l’accès à ces quartiers à des populations minorisées. A l’inverse, les groupes minorisés qui se retrouvent ensemble dans des logements sociaux ne se sont pas rassemblés par choix.
Un « communautarisme » subi
L’antiracisme m’a aussi permis de me rendre compte que la majorité des comportements communautaires observés chez les groupes minorisés étaient le résultat de leur exclusion de la société dominante. Or, cette exclusion est si normalisée que les gens tendent à penser que les personnes non blanches passent leur temps à faire des choses entre elles parce qu’elles n’acceptent pas les autres ou je ne sais quelle autre raison. Cela explique également pourquoi les personnes blanches peuvent si aisément accuser les autres de « communautaires » ou « communautaristes » alors qu’en réalité elles ont des comportements similaires (si ce n’est pire). Elles croient (certainement inconsciemment) que leur entourage s’est constitué par pur hasard, en opposition aux personnes non blanches qui auraient décidé volontairement de ne fréquenter que des personnes de la même couleur de peau.
Cependant, la réalité est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Premièrement, le sentiment communautaire qui peut lier des personnes noires est dû à la condition qu’ils partagent dans une société raciste. Autrement dit, dans la société raciste dans laquelle nous vivons, elles sont amenées à vivre des expériences communes qui peuvent les rapprocher. Dans un monde idéal où la couleur de peau ne serait qu’une simple caractéristique physique, il ne nous viendrait pas à l’esprit de nous rassembler sur la base de ce critère.
Deuxièmement, la société nous contraint la plupart du temps à nous rassembler en nous excluant du fait de notre couleur de peau. Le marché de la coiffure en est pour moi un parfait exemple. Une grande partie des femmes noires ne peuvent pas accéder à des salons de coiffure « généralistes » parce que ces salons ne sont pas formés au soin du cheveu crépu. Cela nous oblige à nous rendre dans des salons de coiffure dits afro ou chez des coiffeurs ou coiffeuses majoritairement noirs mais cela n’est en aucun cas un choix. C’est même parfois très contraignant. Si je résume, cela veut dire que même une personne noire qui voudrait à tout prix avoir un entourage mixte par crainte de l’étiquette « communautariste » sera parfois contrainte de se retrouver dans des espaces non mixtes pour bénéficier de biens et services essentiels.
Au moins, cette réflexion m’a permis de dire adieu à tout sentiment de culpabilité que j’ai pu ressentir par le passé. Je ne ressens plus qu’exaspération vis-à-vis de cette notion « communautarisme ».
Une étiquette stigmatisante
Un autre contexte où revient souvent le terme « communautarisme », c’est dans les débats sur les mouvements antiracistes. J’ai constaté que ces mouvements suscitaient beaucoup de suspicion chez certaines personnes. Si ces personnes reconnaissent l’importance de lutter contre le racisme, elles craignent que ces mouvements finissent par dresser les Blancs contres les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, etc. En bref, elles redoutent que ces mouvements alimentent le communautarisme qui serait déjà ambiant dans notre société. Je pense que ces personnes ne sont pas forcément mal intentionnées mais elles sont tellement habituées au statut quo qu’elles ont peur du changement radical que pourrait apporter l’antiracisme. Pourtant, la seule chose qu’on vise c’est l’égalité.
Cette peur est instrumentalisée politiquement, avec certaines personnalités politiques ou médiatiques qui n’hésitent pas à présenter l’antiracisme (ou le « wokisme » comme ils aiment dire) comme une idéologie menaçante pour l’unité nationale et la République. Le terme « communautarisme » apparaît alors comme une étiquette pour stigmatiser et délégitimer nos revendications d’égalité.
J’ai à présent terminé mon plaidoyer pour l’éradication du terme « communautarisme » du dictionnaire français 😂. J’espère que si vous aviez l’habitude d’utiliser ce terme à l’encontre de groupes minorisés, vous y réfléchirez à deux fois à l’avenir.


Une réponse à “Le communautarisme”
[…] que la France est un pays qui prétend détester les communautés (j’en parle dans cet article), elle n’a laissé d’autre choix à Kassav’ que de s’appuyer sur son réseau communautaire […]
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