J’ai longtemps pensé qu’être « Noir·e et fier·e » (« Black and Proud ») était un truc d’Afro-Américains. Je trouvais ça cool, voire très beau mais je ne me suis jamais autorisée à ressentir cette fierté. En y réfléchissant, il y a tout de même eu des moments, pendant mon enfance et mon adolescence, où je me suis sentie fière de mon identité noire. Je me souviens par exemple que ma famille et moi étions super contentes les rares fois où nous voyions un·e Noir·e à la télévision. De même, nous étions très fiers de voir des célébrités noires sur nos écrans. Au fond, nous savions que ce n’était pas facile d’être en position minoritaire et que certains d’entre eux avaient dû se battre pour en arriver là.
Toutefois, je ne me serais jamais autorisée à dire, à haute voix ou même dans ma tête, « je suis fière d’être Noire ». Il y avait quelque chose qui sonnait faux dans cette phrase. Pourquoi être fière d’être Noire alors que ce n’est qu’une couleur de peau ? Pourquoi être fière de quelque chose que je n’ai de toute façon pas choisi ? Pourquoi brandir ma couleur de peau comme un étendard alors que, personnellement, je n’ai jamais voulu attirer l’attention dessus ?
Ce n’est qu’en grandissant que j’ai pris conscience qu’être Noire n’était pas qu’une simple couleur de peau. C’était d’abord une étiquette raciale qui nous a été imposée pour nous déshumaniser et nous opprimer. Cette étiquette était censée nous arracher toute once de fierté et de dignité, nous rabaisser plus bas que terre. Nous avons été ainsi colonisés, esclavagisés, ségrégués car nous avions été définis comme Noirs. Même les abolitions de l’esclavage et les indépendances n’ont pas eu vocation à nous libérer. Au contraire, elles ont maintenu et réactivé les privilèges des dominants sous des formes nouvelles, par exemple à travers le dédommagement des anciens propriétaires d’esclaves (voir ma série d’articles Après l’abolition ?). Certains pays, comme le Brésil et l’Argentine, sont même allés jusqu’à mettre en place des politiques de blanchiment visant à diluer, voire à effacer, l’identité noire.
La culture négrophobe est restée ancrée dans la société, que ce soit à la télévision, au cinéma, dans la littérature, à l’école, etc. Moi-même, j’ai malheureusement internalisé une série de représentations négatives sur mon identité.
Dans ces conditions, évidemment que l’amour et l’acceptation de soi ne sont pas naturels. Il faut les cultiver soi-même jusqu’à parvenir à ressentir, au plus profond de sa chair, cette fierté qui nous a été volée. J’ai pu la retrouver dans les paroles de mes proches, dans les discours de personnalités qui m’inspirent, dans les œuvres d’auteurs et d’autrices noirs, et à travers un long travail d’introspection.
Alors, les termes « Noir·e et fier·e » ont pris une toute autre résonance en moi. Être Noir·e et fier·e, c’est infléchir le cours de cette histoire d’oppression qui nous prédestinait éternellement à rester au bas de l’échelle. C’est se réapproprier nos corps, nos histoires et nos cultures, sans cesse dévalorisés par le regard blanc.
Je suis donc fière de faire partie d’une communauté qui a vécu le pire mais qui est toujours debout et tente de panser ses plaies. Je suis fière d’appartenir à une communauté qui a lutté et continue de lutter contre l’oppression raciste, et grâce à laquelle je jouis aujourd’hui de certains droits. Je suis fière de ma communauté qui a su faire preuve de résilience, même dans des périodes très sombres, en préservant autant que possible ses cultures. Le jazz, la samba, la rumba et le zouk, que j’aime tant écouter dans mes écouteurs, sont les fruits de cette résistance, et j’en suis fière. Enfin, je suis fière de ne pas me réduire à mon identité noire et de me définir par un tas d’autres choses.
Je ne le crie certes pas sur tous les toits mais je porte cette fierté en moi 👸🏽.

