Si vous aimez la littérature afro et antiraciste, vous ne pouvez pas passer à côté du Brésil ! Ce pays regorge d’autrices et d’auteurs noirs talentueux dont les œuvres relatent et dénoncent la condition des personnes afro-brésiliennes.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas du tout l’histoire raciale du Brésil, mon dernier article Après l’abolition ? #4 Le Brésil pourra vous éclairer.
Aujourd’hui, j’aimerais vous faire découvrir l’autrice Conceição Evaristo et son roman Chanson pour bercer des grands garçons pour lequel j’ai eu un véritable coup de cœur.
Conceição Evaristo, une voix majeure de la littérature afro-brésilienne
Conceição Evaristo est née en 1946 dans une favela de Belo Horizonte. Issue d’un milieu défavorisé, elle est contrainte de travailler durant son enfance et son adolescence, mais elle parvient malgré tout à terminer sa scolarité et devient institutrice en 1971, puis docteure en littérature comparée en 2011.
C’est à l’âge de 44 ans qu’elle publie ses premiers poèmes et nouvelles dans Cadernos Negros, qui rassemble des textes d’écrivains afro-brésiliens. Son premier roman Ponciá Vivêncio (L’histoire de Poncia), qui raconte l’histoire de Poncia, une petite-fille d’esclaves, s’est vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires au Brésil. Il a été inscrit au programme de plusieurs concours d’entrée aux universités brésiliennes et a fait l’objet d’articles et de mémoires universitaires.
Toute l’œuvre de Conceição Evaristo, qui couvre de nombreux genres (romans, poèmes, contes, essais), s’ancre profondément dans son expérience de femme noire brésilienne de classe populaire. Fortement engagée, elle met à l’honneur les vécus des personnes noires, en particulier des femmes. Conceição Evaristo a d’ailleurs forgé le concept d’« escrevivências » – contraction de escrever (écrire) et vivência (expérience) –, désignant une forme d’écriture qui naît de l’expérience individuelle et collective des personnes noires et qui leur redonne une voix, alors qu’elles ont longtemps été marginalisées et réduites au silence dans l’histoire.
Aujourd’hui, Conceição Evaristo est une écrivaine largement reconnue et acclamée, ce qui reste malheureusement une exception pour une autrice noire brésilienne. Ses écrits sont traduits en plusieurs langues, et elle a remporté de nombreux prix, parmi lesquels le prix Jabuti, le prix Cláudia, le prix de la revue Bravo, le prix Nicolás Guillén de littérature décerné par la Caribbean Philosophical Association, ainsi que le prix Mestre das Periferias, remis par l’Institut Maria e João Aleixo.
Pour ma part, j’ai découvert Conceição Evaristo grâce à son recueil de nouvelles Olhos d’água (Ses yeux d’eau) qui raconte les destins de femmes, d’enfants et d’hommes des favelas, tous d’origine afro-brésilienne. Un ouvrage qui m’a considérablement émue et que je vous recommande vivement. Mais ce n’est pas le sujet du jour.
Chanson pour bercer des grands garçons

Je vais plutôt vous présenter ma dernière lecture : Canção para Ninar Menino Grande (Chanson pour bercer des grands garçons). Ce roman, publié en 2018, narre l’histoire de Fio Jasmin, un homme noir marié et père de famille, qui enchaîne les relations extraconjugales, allant jusqu’à avoir plusieurs enfants non reconnus avec ses maîtresses. Le personnage de Fio Jasmin est sans aucun doute un grand machiste, qui traite les femmes comme des objets sexuels, sans se soucier de leurs sentiments.
La force de ce roman réside dans sa manière d’aborder les masculinités (en l’occurrence noires) : l’apprentissage de la virilité, l’injonction à multiplier les « conquêtes féminines » et à refouler ses émotions, la difficulté à nouer des relations amoureuses et affectives sincères avec les femmes (au-delà du sexe), l’immaturité des hommes, leurs fragilités, leurs traumatismes, leur solitude, l’absence des pères dans la vie des enfants…
Bien que ce roman porte sur les masculinités, les personnages féminins en restent les protagonistes. En effet, on suit l’histoire de Fio Jasmin à travers leur point de vue. On comprend ainsi mieux les différentes raisons pour lesquelles ces femmes entretiennent une relation avec lui, malgré sa réputation. Cette structure narrative m’a personnellement permis de m’attacher à elles et de ressentir de l’empathie à leur égard.
Enfin, j’ai adoré la plume de Conceição Evaristo, très poétique et empreinte d’une belle sensibilité.
Bref, je vous invite vivement à lire cet ouvrage – et en particulier vous, messieurs !

