Imaginez si un jour vous appreniez brusquement que votre père noir avait été abattu par la police…
C’est l’histoire du roman brésilien L’envers de la peau (O Avesso da Pele) de Jeferson Tenório publié en 2020. Pedro, le fils en question, décide, après cette terrible nouvelle, de reconstruire la vie de son père, Henrique, un professeur de littérature de 52 ans, dont il n’était pas très proche. Il retrace son enfance dans la pauvreté, son adolescence, ses relations amoureuses, son parcours professionnel, sa paternité.
À travers ce récit, Pedro dévoile l’envers de la peau de son père, c’est-à-dire tout ce qui constitue son humanité. Une humanité qui lui a été constamment niée, lui qui a été souvent réduit à un corps noir, même au moment de sa mort. Ce roman revendique ainsi puissamment l’humanité des personnes noires et nous invite, nous personnes noires, à préserver au mieux l’envers de notre peau, qui nous définit et nous singularise.
« Il y a un endroit qui n’est rien qu’à toi, un endroit isolé et unique. C’est là que se trouve notre humanité, et c’est cette humanité qui nous maintient en vie »
Ce message prend tout son sens au fil du livre, à mesure qu’on assiste à la manière dont le racisme traverse tous les pans de la vie des personnes noires : dans les blagues, les relations romantiques (et notamment mixtes), la recherche d’emploi, les violences policières, etc. D’autant plus que les personnages évoluent à Porto Alegre, une ville du sud du Brésil majoritairement blanche.
D’autres thématiques importantes sont également abordées dans le roman : les failles du système scolaire brésilien, la relation père/fils, les violences conjugales, les relations amoureuses toxiques, la santé mentale.
Je ressors de cette lecture toute bouleversée et révoltée, bien que j’aie déjà conscience de beaucoup de choses décrites dans ce roman. J’ai même pleuré à la fin du livre. Je recommande vivement cette lecture, en particulier aux hommes noirs, ayant grandi dans une société blanche, qui sauront très bien s’y identifier. Le roman est court, avec un style fluide, accessible mais tout de même sensible.
Je conclus cette chronique en soulignant que le livre a remporté le prix littéraire Jabuti en 2021 et a rencontré un fort succès au Brésil, malgré la censure dont il a été l’objet dans certaines écoles du pays pour cause de scènes de sexe et de langage jugé inapproprié pour des mineurs (ce qui, selon moi, n’est absolument pas justifié).

