La Françafrique #2 – La guerre du Cameroun

Il y a trois mois, je publiais mon premier article sur la Françafrique. En effet, je fais assidûment des recherches sur ce sujet depuis le début de l’année, notamment grâce à l’ouvrage Une histoire de la Françafrique. L’Empire qui ne veut pas mourir. Pour rappel, la Françafrique est « un système de domination [néocoloniale] fondé sur une alliance stratégique et asymétrique entre une partie des élites françaises et une partie de leurs homologues africaines ».

Si elle puise ses sources dans l’histoire coloniale, la naissance de la Françafrique se joue réellement lors des indépendances africaines de 1960. Il s’agit pour la France de concéder des indépendances favorables aux intérêts français, soit en soutenant l’accès au pouvoir de leaders fidèles à l’ancienne métropole, soit en « éliminant » les leaders trop peu dociles ou frontalement opposés à la politique française.

L’indépendance du Cameroun en 1960 est un cas d’école. La France y mène une guerre secrète entre 1955 et 1971 contre le parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC), qui lutte activement pour une indépendance réelle du pays. Cette guerre permet ainsi à la France d’écarter l’UPC et d’octroyer l’indépendance au gouvernement néocolonial d’Ahmadou Ahidjo.

Le Cameroun, un territoire sous tutelle internationale

Après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, le Cameroun, colonie allemande, passe sous le mandat de la Société des Nations (SDN). La SDN confie l’administration de la partie orientale du Cameroun à la France, et celle de la partie occidentale à la Grande-Bretagne. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies (ONU) garde le Cameroun sous tutelle internationale.

Le Cameroun n’est donc pas à proprement parler une colonie française. La France est censée, selon l’article 76 de la Charte des Nations unies, favoriser l’évolution progressive du territoire sous mandat vers la capacité à s’administrer lui-même ou vers l’indépendance. Néanmoins, dans les faits, c’est bien une gestion coloniale qui est appliquée au Cameroun, comme dans les autres colonies françaises.

La lutte pour l’indépendance camerounaise

Le contexte socio-politique à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale fait monter le nationalisme camerounais. Les Camerounais, ayant combattu pour la libération de la France, ont pris conscience du rôle primordial des colonies dans la puissance de l’Empire français. De plus, la conférence de Brazzaville de 1944 a abouti à des progrès sociaux pour les colonisés, dont le droit de se syndiquer et la fin progressive du travail forcé. L’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) voit ainsi le jour et le 20 septembre 1945, les cheminots de Bonabéri, dans la banlieue de Douala, entament une grève pour une hausse des salaires et une amélioration des conditions de travail. Le mouvement social se propage rapidement en ville mais la grève est réprimée dans le sang par les colons français, causant une trentaine de morts selon les chiffres officiels. Cet épisode violent accélère les revendications politiques des Camerounais et des Camerounaises.

Le nationalisme camerounais prend un nouveau virage en 1948, avec la création de l’Union des populations du Cameroun (UPC), un mouvement politique et syndical qui revendique catégoriquement l’indépendance du pays et sa réunification.  Le mouvement se structure et sous l’impulsion de son secrétaire général charismatique Ruben Um Nyobè, il rallie très vite à sa cause une part considérable des Camerounais et Camerounaises, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, et fédère des dizaines de milliers d’adhérents. Naturellement, cette popularité croissante de l’UPC inquiète les autorités coloniales françaises.

Les membres du bureau politique de l’UPC en marge d’une conférence le 6 mars 1955. Au premier plan, de gauche à droite : Jacques Ngom (secrétaire général de L’Union des syndicats confédérés du Cameroun), Abel Kingué (vice-président de l’UPC), Ruben Um Nyobè (secrétaire général de l’UPC), Félix Moumié (président de l’UPC) et Ernest Ouandié (vice-président de l’UPC). © Archives personnelles de Simon Nken

Très stratégique, l’UPC investit le terrain diplomatique pour faire avancer ses revendications. En 1952, Ruben Um Nyobè, clairvoyant sur le statut juridique du Cameroun, se rend à l’ONU à New York pour défendre les positions de son mouvement. Il y prononce un discours, qui marquera les esprits, où il réclame clairement l’unification immédiate des Cameroun français et britannique, et la fixation d’un délai pour l’indépendance. Ce qui a de quoi faire grincer les dents de l’administration coloniale française.

Outre l’UPC, d’autres organisations politiques luttent également pour l’indépendance du Cameroun, parmi lesquelles l’Union démocratique des femmes Camerounaises (UDEFEC), créée en 1952 par Emma Ngom, Gertrude Omog, Marie-Irène Ngapeth et Marthe Ouandié, et la Jeunesse démocratique camerounaise, créée en 1954.

La guerre du Cameroun

Au milieu des années 1950, la France se retrouve fragilisée sur la scène internationale : défaite lors de la bataille de Dien Bien Phu en Indochine, éclatement de la guerre d’Algérie, fin du protectorat français au Maroc et en Tunisie et crise du canal de Suez. Par conséquent, la France ne peut se résoudre à perdre le Cameroun. Tous les moyens sont bons pour combattre l’UPC : propagande, surveillance, infiltration, provocation, harcèlement judiciaire, trucage électoral, création de partis pro-administration, etc. La stratégie principale consiste à discréditer l’UPC en l’accusant d’être un parti communiste. Toutefois, cette répression ne suffit pas à éradiquer l’UPC.

Ainsi, en mai 1955, alors que des manifestations sociales et anticoloniales sont violemment réprimées, Roland Pré, haut-commissaire de la France au Cameroun (représentant de l’État au Cameroun), en profite pour imputer ces « émeutes » à l’UPC et faire arrêter des centaines de militants. Le 13 juillet 1955, le parti est dissous et interdit, dans l’indifférence de la communauté internationale et des médias français. Le mouvement est contraint à entrer dans la clandestinité. Certains membres s’exilent, d’autres comme Ruben Um Nyobè prennent le maquis.

Pierre Mesmer prend le relais de Roland Pré en avril 1956, en tant que nouveau haut-commissaire.  Sa mission n’est plus de mettre fin au nationalisme mais de faire émerger des « nationalistes modérés » prêts à soutenir les intérêts colonialistes français.

En effet, la loi-cadre Defferre, votée la même année, instaure des conseils de gouvernement élus au suffrage universel dans les territoires africains. Pour la France, il faut de la sorte à tout prix garder le contrôle sur le résultat du scrutin de décembre 1956.

Pierre Mesmer tente de négocier avec l’UPC. Il promet que le parti pourra sortir de la clandestinité à condition de renoncer à ses revendications. Inflexible, l’UPC refuse ce chantage et passe à la lutte révolutionnaire pour faire annuler les élections de décembre 1956. L’élection sera effectivement annulée dans la région stratégique de la Sanaga-Maritime mais se tiendra dans presque toutes les autres régions. Un nationaliste modéré, du nom d’André-Marie Mbida, est ainsi investi comme chef du premier gouvernement du Cameroun autonome en 1957.

La traque contre l’UPC s’intensifie. Pierre Mesmer déploie les mêmes méthodes de guerre qu’en Algérie afin d’éliminer les indépendantistes et leurs sympathisants : torture, châtiments collectifs contre des villages, massacres, bombardements, internements de masse, action psychologique, etc. Une « zone de pacification » (Zopac) est même installée en Sanaga-Maritime, où les militaires font régner la terreur. Les villageois et villageoises sont torturés, traqués, exécutés, ou enfermés et surveillés dans des « centres de regroupement » militarisés. En somme, le Cameroun devient le théâtre d’une véritable guerre secrète et illégale, bafouant les règles du droit international.

Ruben Um Nyobè, le chef emblématique de l’UPC qui a longtemps résisté dans le maquis, finit par être localisé et assassiné le 13 septembre 1958. Son corps est traîné au sol et exposé au village, comme pour marquer la mort de l’UPC.

Une indépendance factice

Le 1er ministre français Michel Debré et Ahmadou Ahidjo, 1er ministre du Cameroun signent un accord entre la France et le Cameroun le 24 décembre 1959 ©AFP – AFP

Ruben Um Nyobè assassiné, les autorités françaises peuvent dérouler la suite de leur plan. Elles acceptent d’octroyer l’indépendance au Cameroun car elles savent que le pays est entre « de bonnes mains ». Ahmadou Ahidjo (qui a remplacé André-Marie Mbida), à la tête du gouvernement du Cameroun, est en effet un homme politique pro-français. C’est avec lui que la France négocie les modalités d’accès à l’indépendance et signe une série d’accords de coopération largement favorable à ses intérêts.

La Françafrique prend de ce fait forme au Cameroun, officiellement indépendant depuis le 1er janvier 1960. Avec la bénédiction du président nouvellement élu Ahmadou Ahidjo, d’ailleurs entouré de conseillers français, la France garde sa mainmise sur le pays.

Le Cameroun sous la dictature d’Ahmadou Ahidjo

L’indépendance de façade du Cameroun en 1960 ne signe pas la fin de l’UPC. Cette dernière monte une nouvelle organisation militaire, l’Armée de libération nationale du Cameroun (ALNK), qui poursuit la résistance clandestine anticoloniale. Le régime d’Ahmadou Ahidjo continue donc l’insurrection contre l’UPC, avec le soutien et l’aide de la France. Le nouveau chef de l’UPC, Félix Moumié, est par exemple empoisonné en octobre 1960 par les services secrets français alors qu’il était de passage à Genève.

Sous prétexte de maintenir l’ordre, le nouveau régime d’Ahidjo se transforme rapidement en dictature : suppression des libertés publiques, mise en place d’un parti unique, emprisonnement d’opposants légaux dans des « camps d’internement administratif ». Une ordonnance du 12 mars 1962, « portant répression de la subversion » interdit, en pratique, l’expression de tout désaccord avec le régime. Cette répression s’appuie également sur une police politique dirigée par Jean Fochivé, qui généralise la torture, les exactions et les assassinats.

En 1971, le dernier chef historique de l’UPC, Ernest Ouandié, est arrêté et fusillé sur la place publique à Bafoussam. Sa mort scelle la fin de la guerre d’indépendance du Cameroun.

Ahmadou Ahidjo reste au pouvoir jusqu’en 1982, avant de démissionner. Paul Biya, son Premier ministre, lui succède et est toujours en poste.

À l’heure actuelle, la guerre du Cameroun n’est pas officiellement reconnue comme telle ni par le Cameroun, ni par la France. Il est difficile de savoir le nombre exact de victimes, on en dénombrerait plus de 100 000 selon des sources françaises.


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