Tu es de quelle origine ?

Tu es de quelle(s) origine(s) ? En France, les personnes non blanches, dont je fais partie, doivent répondre un nombre incalculable de fois à cette question. La récurrence de cette question montre que nous ne sommes pas des Français comme les autres dans l’imaginaire collectif. Or, je sais que cela ne nous touche pas du tout de la même manière. Cette question sera perçue comme déplacée, fatigante, voire sensible pour certaines personnes, tandis que pour d’autres, elle ne posera pas de problème. Je trouve ça très intéressant d’écouter les différents points de vue des personnes non blanches sur la question car cela en dit long sur notre rapport à notre identité, qui est loin d’être unanime.

Aujourd’hui, je souhaite donc vous partager mon opinion sur le sujet. Spoiler : il ne sera pas tranché car pour moi, la question n’est pas intrinsèquement raciste ou dérangeante. Tout dépend du contexte, et de qui pose la question !

Est-ce naturel de demander les origines ?

Première croyance que j’aimerais briser : non, demander de manière aussi systématique aux personnes non blanches leurs origines n’est pas naturel. Surtout qu’il n’est pas rare que cela arrive dès la première rencontre, et même dans les cinq premières minutes qui suivent la rencontre pour être encore plus précise. J’insiste sur la récurrence de la question car si elle était anecdotique, je ne serais pas en train d’écrire cet article aujourd’hui.

J’ai moi-même longtemps pensé que c’était normal dans un pays majoritairement blanc mais j’ai fini par comprendre que la France était, certes, un pays majoritairement blanc, mais aussi multiculturel.

En effet, il y a une partie des personnes blanches françaises qui ont également des origines étrangères mais pourtant, elles y sont beaucoup moins assignées. En outre, certaines familles non blanches originaires des départements d’outre-mer sont françaises depuis des générations. Même sans parler des départements d’outre-mer, la présence asiatique, arabe, maghrébine ou noire est ancienne en France hexagonale. Combien de générations supplémentaires faudra-t-il alors attendre pour qu’on arrête de nous poser en permanence des questions sur nos origines étrangères ? Il serait temps d’accepter selon moi qu’il existe des personnes françaises non blanches, sans avoir le besoin irrépressible d’en savoir plus sur leur ethnicité.

Est-ce de la simple curiosité de demander les origines ?

Oui et non. Je pense que cela dépend du contexte et de qui pose la question.

Lorsqu’une personne blanche que je viens à peine de rencontrer me demande mes origines, je n’interprète pas cela comme de la simple curiosité. Je me dis d’une part, que cette personne me perçoit avant tout à travers le prisme de la couleur de peau, et d’autre part, qu’elle suppose que parler de mes origines est le moyen principal et le plus évident d’apprendre à me connaître.

Je me souviens, par exemple, d’un stage en entreprise où j’avais été accueillie par une employée qui m’avait demandé au bout de trois minutes mes origines. Il y avait pourtant tellement d’autres questions plus évidentes à poser avant celle-ci, sur mon parcours scolaire, mon expérience professionnelle, le trajet pour venir au travail, etc. Elle n’avait pas de mauvaises intentions et était probablement très curieuse mais son attitude montre que les personnes non blanches sont tellement réduites à leurs origines et indirectement à leur couleur de peau que ce sujet prédomine tout le reste, alors que nous avons d’autres choses ultra intéressantes à raconter ! À l’inverse, j’ai constaté que beaucoup de personnes blanches se sentent très peu concernées par le sujet des « origines », comme si c’était un sujet exclusif aux personnes non blanches.

Dans d’autres contextes, je veux bien croire qu’il s’agit de la curiosité, par exemple, dans une discussion sur la littérature afro, ou si cela fait plusieurs semaines que nous nous fréquentons.

Enfin, mon ressenti diffère si la question vient d’une personne noire. Je suis, dans ce cas, beaucoup moins gênée par le fait que la question arrive vite dans la discussion car je l’interprète comme de la curiosité pour savoir si nous avons les mêmes origines, ou comme un moyen d’engager une discussion sur nos cultures africaines ou afros. Toutefois, même dans ce cas précis, tout dépend encore une fois du contexte. Pour reprendre l’anecdote que j’ai racontée précédemment sur le stage, j’aurais été déstabilisée par la situation même s’il s’agissait d’une employée noire qui me posait la question.

Est-ce blessant de demander les origines ?

Je ne pourrai répondre à cette question au nom de toutes les personnes non blanches. Comme j’ai l’habitude de le dire dans mes articles, nous sommes tous différents et en cela, nous entretenons un rapport qui nous est propre à nos origines.

Pour ma part, je suis à l’aise avec mes origines congolaises et j’aime beaucoup en discuter quand le contexte s’y prête. La question « tu es de quelle(s) origine(s) ? » ne vient donc pas remuer une part sensible de mon identité. Mes origines constituent une part très importante de mon identité, et il serait impossible d’apprendre à me connaître sans connaître cette part de moi (mais ce n’est pas pour autant que c’est la première chose dont j’ai envie de parler à un inconnu).

Cependant, je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains ne connaissent pas du tout leur pays ou leur culture « d’origine », d’autres sont en plein questionnement identitaire, et cette question les ramène à ce point délicat. D’autres paramètres entrent également en compte. Par exemple, la question sera certainement moins bien reçue par une personne qui est la seule Noire de son milieu car cela la renvoie à sa condition de minorité. De même, je pense que la question est plus blessante pour les personnes non blanches qui sont nées et ont grandi en France que pour celles qui ont immigré en France à un âge adulte.

Toutefois, cela souligne encore qu’il est absurde de poser cette question de manière indifférenciée à toutes les personnes non blanches, comme si elles étaient toutes à l’aise de parler de leurs origines.

Est-ce qu’on n’était pas censé ne pas voir les couleurs ?

Hypocrisie quand tu nous tiens… Nous vivons dans un pays où parler de couleur de peau est encore tabou, les gens adorent dire qu’ils ne voient pas les couleurs et néanmoins, nous, personnes non blanches, devons répondre tous les quatre matins à des questions indiscrètes sur nos origines. Je force le trait mais ce paradoxe m’agace particulièrement car en réalité, poser des questions sur les origines revient à demander de manière déguisée à une personne « pourquoi as-tu cette couleur de peau / ce phénotype ? » ou « d’où te vient cette couleur de peau / ce phénotype ? ». En bref, à pointer sa couleur de peau.

De surcroît, j’observe que la société française tape assez facilement sur les personnes non blanches qui parleraient « trop » de leurs origines. Elles seraient des communautaristes, des obsédées de la race et j’en passe. En revanche, on trouve facilement des excuses aux personnes blanches qui ont un intérêt démesuré pour les origines : elles ne sont pas méchantes, n’ont pas de mauvaises intentions, sont juste curieuses, etc.

Je partage d’ailleurs ma frustration à ce sujet dans cet article nommé « Pourquoi parles-tu autant de ta couleur de peau ? ».

En définitive, je dirais que l’essentiel est de laisser chacun et chacune se définir librement, et de ne pas catégoriser ou assigner à une identité. Laissez les gens se définir eux-mêmes par leurs origines s’ils le souhaitent au lieu de leur poser systématiquement la question dès la première minute !

J’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à me partager votre opinion sur le sujet.


Sources :

En complément, je vous recommande ces trois références :

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