L’histoire coloniale de 3 habitudes alimentaires africaines

Il y a quelques mois, je vous racontais l’origine coloniale des boissons chaudes phares de notre petit-déjeuner occidental. Dans le même esprit, j’aimerais vous partager aujourd’hui mes recherches sur l’histoire coloniale de trois produits emblématiques de l’alimentation africaine : le riz, l’arachide, le manioc. J’ai l’habitude de consommer l’arachide et le manioc depuis l’enfance et j’ai donc longtemps pensé qu’il s’agissait de produits d’origine africaine. La présence de ces produits dans nos patrimoines culinaires africains révèle à quel point la colonisation a imprégné nos sociétés, y compris ce que nous mangeons au quotidien.

Le riz brisé, un incontournable au Sénégal

Avec 100 kilos consommés par habitant chaque année, le Sénégal est l’un des plus grands consommateurs de riz en Afrique. Pourtant, à l’ère précoloniale, le mil était le principal aliment de base des Sénégalais et Sénégalaises. Le riz était alors peu produit et consommé localement.

C’est pendant la période coloniale que le riz est devenu un élément intégral du régime alimentaire sénégalais. À partir de la fin du 19ème siècle, la France importe en grandes quantités du riz brisé depuis les colonies d’Indochine pour ses colonies d’Afrique occidentale. Celui-ci est en effet considéré comme un riz de mauvaise qualité et n’intéresse donc pas le palais des Européens et Européennes. Son importation dans la colonie sénégalaise permet de détourner la population de leurs cultures vivrières (mil, sorgho, fonio,…) au profit d’autres cultures plus rentables pour la métropole, en particulier celle de l’arachide.

La brisure de riz constitue même la base d’un plat national sénégalais, le thiéboudiène, né au début du 20ème siècle dans la ville de Saint-Louis et qui est désormais inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Cela témoigne de l’importance que cet aliment occupe dans la gastronomie sénégalaise.

Toutefois, cette consommation significative de riz brisé rend le pays dépendant des importations, principalement d’Inde, malgré les efforts pour accroître la production locale et atteindre l’autosuffisance.

L’arachide, l’or du Sénégal

Le Sénégal est le troisième producteur africain d’arachide après le Nigeria et le Soudan. Cette filière représente l’une de ses principales cultures d’exportation du pays. Or, cette plante légumineuse originaire d’Amérique latine n’est pas arrivée par hasard au Sénégal. Elle est introduite en Afrique dès le 16ème siècle par les navigateurs portugais. Elle sert alors de nourriture pour les Africains et Africaines réduits en esclavage.

C’est au milieu du 19ème siècle que la culture de l’arachide se développe considérablement au Sénégal, colonie française. Elle est vivement encouragée par Auguste-Léopold Protet, gouverneur français du Sénégal et son successeur Louis Faidherbe, pour la production d’huile d’arachide dont la métropole est très demandeuse. Grâce à son climat et son environnement, la colonie offre des conditions quasi idéales à la culture de l’arachide, qui se répand rapidement à l’échelle de tout le territoire.

Comptage des gousses de chaque pied d’arachide
à la station de Bambey

Il s’agit d’une culture de rente, tournée vers l’exportation qui permet d’approvisionner les huileries métropolitaines de Bordeaux, Dunkerque et Marseille. Des grandes entreprises françaises, tels que Lesieur et Maurel & Prom, ont bâti leur fortune sur le commerce de l’arachide. Comme expliqué précédemment, cette économie coloniale empêche la population locale de se consacrer à la culture de leurs céréales vivrières.

Au lendemain de l’indépendance du pays, cette politique d’exportation reste inchangée. L’arachide est alors un pilier de l’économie sénégalaise. Elle représente plus de 80 % des recettes d’exportation, 70 % du revenu monétaire des paysans, près de 40 % des recettes directes et indirectes du budget. Néanmoins, à partir des années 1970, le secteur de l’arachide traverse une crise, notamment à cause de la concurrence d’autres oléagineux moins chers (le colza, l’olive, le tournesol, etc.). Cela a profondément affecté l’économie sénégalaise dépendante de cette monoculture. D’autre part, la production de l’arachide a entraîné une dégradation des ressources forestières et de la fertilité des sols.

Le manioc, une star de l’alimentation africaine

L’Afrique est le premier producteur de manioc au monde, avec en tête le Nigéria et la République démocratique du Congo. Le manioc est très populaire dans la gastronomie africaine, où il est consommé sous diverses formes : l’attiéké (semoule à base de manioc), le fufu (pâte à base de manioc), le kwanga ou pain de manioc (pâte de manioc fermentée), le pondu ou le saka-saka (feuilles de manioc), etc.

Comme l’arachide, le manioc est une plante originaire d’Amérique latine. Il est introduit en Afrique au cours du 16ème siècle par les navigateurs portugais dans le cadre de la traite transatlantique, d’abord sur les côtes congolaises et angolaises, avant de s’étendre sur le reste du continent. Cette introduction de la tubercule en Afrique est destinée à l’entreprise coloniale et répond également aux besoins alimentaires des Portugais. Elle est, en effet, utilisée sous forme de farine comme provision pour les navires négriers et permet de nourrir les personnes esclavagisées à bas coût durant la traversée. Par exemple, à Sao Tomé-et-Principe, colonie portugaise, les colons imposent la culture du manioc pour leurs propres besoins avec les techniques importées du Brésil pour fabriquer la farine.

En atteste un témoignage du navigateur anglais Richard Hawkins en 1593 à propos d’un navire portugais en route vers l’Angola pour emprisonner des esclaves :

« Le chargement de ce navire était de la farine de cassavi [manioc], que les Portugais appellent Farina de Paw [farinha de pão]. Elle sert de marchandise en Angola, de nourriture pour les Portugais sur les navires, et pour les nègres lors de leur transport vers la rivière de Plata ».

En l’absence de sources, il est difficile d’affirmer à quel moment précis les Africains ont commencé à cultiver le manioc pour leurs propres usages. Toujours est-il que le manioc connaît une expansion rapide sur le continent à partir du 19ème siècle. Son succès s’explique entre autres par le fait qu’il tolère les sols pauvres et les périodes de sécheresse. Véritable atout pour la sécurité alimentaire, il devient progressivement l’une des cultures vivrières principales.

En définitive, l’histoire de ces trois aliments témoigne de la place primordiale qu’a joué la colonisation dans l’agriculture et l’alimentation africaine. Ils sont aussi révélateurs de l’ingéniosité des peuples africains qui ont su s’approprier et sublimer ces aliments. Je suis par exemple impressionnée par la diversité des mets africains à base de manioc !


Sources :

Laisser un commentaire