Le 19 juin 2022, la Colombie a élu pour la première fois de son histoire un président de gauche Gustavo Petro et une vice-présidente afrocolombienne, écologiste et féministe. C’est sur cette dernière que portera cet article. Elle s’appelle Francia Márquez.
Qui est Francia Márquez ?

Pour comprendre la figure de Francia Márquez, il faut d’abord se plonger dans la réalité de sa région natale en Colombie. Elle est née en 1981 à Yolombo, dans le département du Cauca. C’est une région rurale dans le sud-ouest du pays, majoritairement habitée par des communautés afro-descendantes et indigènes.
En proie à la pauvreté et aux violences (notamment liées au conflit armé colombien), le Cauca est décrit comme un département oublié par le gouvernement. En raison de ses richesses minières, le territoire est aussi convoité par des multinationales et par des groupes armés qui se disputent l’exploitation illégale de mines.

Ceci est à l’origine de dommages environnementaux, sanitaires et sociaux pour les populations locales qui vivent principalement de l’exploitation artisanale de mines d’or, de l’agriculture, de la pêche et de l’artisanat.
C’est cette réalité difficile qui pousse Francia Márquez à s’engager dès ses 13 dans une lutte écologique. En 2014, elle mène une des ses actions les plus importantes nommée la « Marche des Turbans » : environ 80 femmes marchent depuis le Cauca jusqu’à la capitale colombienne Bogota pour protester contre les mines illégales installées sur le territoire. Son activisme lui vaut ainsi en 2018 le Prix Goldmann, considéré comme le prix Nobel de l’environnement.
Toutefois, son combat n’est pas sans danger puisqu’elle est plusieurs fois la cible de menaces de mort. En 2019, elle survit même à une tentative d’assassinat. Rappelons que la Colombie est l’un des pays où sont tués le plus de leaders communautaires et de militants des droits de l’homme ou de défense de l’environnement.
Avant de se présenter à la vice-présidence de la Colombie aux côtés de Gustavo Petro, Francia Márquez a successivement travaillé dans une mine d’or, en tant qu’employée de maison et enfin en tant qu’avocate grâce aux études de droit qu’elle a entrepris.
Pourquoi y a-t-il si peu de Francia Márquez ?
Dans un pays gouverné en majorité par des élites blanches, riches et urbaines, l’arrivée au pouvoir d’une femme noire, pauvre, originaire d’un territoire marginalisé et mère célibataire est historique. Malheureusement, ce type de parcours restera exceptionnel si les structures de la société demeurent identiques. En effet, les personnes noires, et en particulier les femmes noires, sont touchées de manière disproportionnée par la pauvreté et la violence. Selon les statistiques officielles, près de 10% de la population s’identifie comme afrocolombienne et 30% d’entre elle vit dans la pauvreté. Avant les élections présidentielles, le gouvernement ne comptait qu’une femme noire et seules deux femmes noires siégeaient au Parlement.

Il s’agit d’un héritage du passé esclavagiste de la Colombie. Les Afrocolombiens sont pour la plupart des descendants d’africains réduits en esclavage et déportés pendant la traite transatlantique. Après l’abolition de l’esclavage en 1851, leur intégration socio-économique et politique n’a pas du tout été facilitée, ce qui explique la condition actuelle des Afrocolombiens. Si on en revient au cas de Francia Márquez, elle a grandi sur des terres ancestrales appartenant aux Afrocolombiens descendants d’africains esclavisés et déportés. Or, ces terres sont totalement marginalisées par l’Etat : les habitants ont un accès très limité à l’éducation et à la santé. De plus, ils souffrent d’un manque d’eau potable, de systèmes d’assainissement et de bon service d’électricité. À tout cela s’ajoutent des barrières mentales puisqu’il est compliqué de se projeter dans une carrière politique quand on a évolué dans ce genre d’environnement.
Le racisme structurel
Tout ce que je décris porte un nom : le racisme. En effet, on voit clairement que la manière dont la société colombienne est structurée ne permet pas aux personnes noires de connaître une ascension sociale et d’accéder à des postes de pouvoir. Comme le met en évidence l’avocat et le philosophe brésilien Silvio Almeida dans son livre Racismo estrutural (Racisme structurel) :
« Le racisme – qui se matérialise par la discrimination raciale – est défini par son caractère systémique. Il ne s’agit donc pas seulement d’un acte discriminatoire, ni même d’un ensemble d’actes, mais d’un processus dans lequel les conditions de subordination et de privilège distribuées entre les groupes raciaux se reproduisent dans les sphères de la politique, de l’économie et des relations quotidiennes »
Ainsi, si l’on veut qu’il y ait plus de Francia Márquez, il me paraît d’abord primordial d’arrêter de normaliser le racisme. En général, les gens ont du mal à percevoir ce type d’inégalités raciales – quand bien même elles sont criantes – car ils et elles les ont inconsciemment normalisées. Il arrive même que les gens tentent de les nier en invoquant le mérite ou de les minimiser en les réduisant à une question de pauvreté. Or, comme je l’ai développé ici, la situation socio-économique des Afrocolombiens est intimement liée à leur condition d’hommes et de femmes noires. On est donc face à une situation classique où s’enchevêtrent des oppressions de classe, de race, voire de genre (si on se concentre sur le cas des Afrocolombiennes).
Deuxièmement, au-delà d’une prise de conscience, nous avons besoin de politiques publiques ambitieuses antiracistes. Il est illusoire de croire qu’on éradiquera le racisme sans jamais s’attaquer politiquement à ses conséquences structurelles sur la société. Lors de la campagne électorale, Francia Márquez a réussi à imposer dans le débat public la thématique jusqu’ici absente en Colombie du racisme. C’est déjà un grand pas en avant afin que l’Etat et plus largement la société cessent d’être dans l’indifférence face au racisme qui place les personnes noires et indigènes dans des situations d’exclusion sociale, économique et politique.
Je parle ici de la Colombie car j’ai voulu profiter de l’actualité pour aborder la question du racisme structurel mais cette analyse se prête à d’autres pays tels que le Brésil, les États-Unis ou encore les collectivités et départements français d’outre-mer, où la condition des descendants de personnes mises en esclavage questionne sur la reproduction des inégalités raciales. J’y reviendrai dans d’autres articles !
Sources :
- Almeida, S. (2019). Racismo estrutural. Jandaíra
- Comisión Económica para América Latina y el Caribe (CEPAL)/Fondo de Población de las
- Naciones Unidas (UNFPA), “Afrodescendientes y la matriz de la desigualdad social en América Latina: retos para la inclusión”, Documentos de Proyectos (LC/PUB.2020/14), Santiago, 2020.
- https://reporterre.net/Le-combat-dangereux-de-Francia-Marquez-contre-l-exploitation-miniere-en
- https://www.france24.com/es/minuto-a-minuto/20220620-francia-m%C3%A1rquez-primera-vicepresidenta-afro-de-colombia


3 réponses à “Ma réflexion sur la victoire de Francia Márquez en Colombie”
[…] aussi dans l’organisation de la société. C’est par exemple l’objet de mon article Ma réflexion sur la victoire de Francia Marquez en Colombie, où j’expliquais que la sous-représentation de personnes noires dans les instances de pouvoir […]
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Très intéressant. Je ne connaissais pas du tout son histoire . En fait je ne suis pas très informée sur l’actualité en Amérique latine haha . Merci beaucoup pour cette article important .
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Merci beaucoup sur ton commentaire ❤️. Je compte écrire d’autres articles sur les populations afro en Amérique latine !
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