C’est quoi le racisme ?

On ne peut pas lutter contre quelque chose que l’on ne comprend pas. C’est pourquoi je tenais à revenir aux fondamentaux en explicitant la notion de « racisme » que j’aborderai très souvent sur ce blog.

J’ai remarqué que dans l’imaginaire collectif le racisme était souvent associé à de la haine, à du rejet, à de la violence physique ou verbale ou encore à des formes de discrimination directe. Or, il y a des tas d’actes ou de pratiques qui sont racistes sans correspondre aux caractéristiques que je viens de citer. De surcroît, le racisme ne prend pas seulement la forme d’un acte ou d’une pratique isolés mais il s’inscrit aussi dans l’organisation de la société. C’est par exemple l’objet de mon article Ma réflexion sur la victoire de Francia Marquez en Colombie, où j’expliquais que la sous-représentation de personnes noires dans les instances de pouvoir colombiennes était le produit du fonctionnement même de la société.

Pour toutes ces raisons, réduire le racisme à de la haine, à du rejet, à de la violence physique ou verbale ou encore à des formes de discrimination directe ne nous permet pas de combattre contre la pluralité des phénomènes racistes.

Revenons aux sources

Le racisme repose sur le concept de race. C’est à partir du 16ème siècle que le mot  race  prend un sens proche de celui qu’on lui connaît aujourd’hui : une division de l’humanité en plusieurs catégories à partir de traits physiques particuliers. Le philosophe et voyageur français François Bernier est le premier à utiliser le terme race en ce sens moderne dans un article publié en 1684, dans lequel il distingue quatre ou cinq espèces ou races d’hommes.

Au 18ème siècle, les Lumières façonnent le concept de race en traçant une frontière entre l’homme civilisé, qui incarnerait la forme parfaite de l’humanité et le sauvage. L’homme blanc est alors décrit comme l’humain civilisé, légitime de coloniser les humains inférieurs. Des penseurs des Lumières comme Georges Louis-Leclerc Buffon, Carl von Linné, Emmanuel Kant, Johann Friedrich Blumenbach élaborent des classifications raciales rigoureuses. Ces classifications ont pour point commun d’être essentialisantes parce qu’elles établissent des liens entre les attributs physiques des races définies et des caractéristiques morales, psychologiques et rationnelles (par exemple le fait d’être colérique, sanguin, mélancolique, flegmatique, intelligent, etc.).

Pour n’en citer que deux, le naturaliste Buffon distingue « l’homme, blanc en Europe, noir en Afrique, jaune en Asie et rouge en Amérique ». Kant, quant à lui, écrit dans son œuvre anthropologique : « Dans les pays chauds, les hommes mûrissent plus vite à tous égards, mais ils n’atteignent pas la perfection des zones tempérées. L’humanité atteint la plus grande perfection dans la race des Blancs. Les Indiens jaunes ont déjà moins de talent. Les Nègres sont situés bien plus bas ».

Avec les Lumières, la pensée raciste revêt donc un caractère scientifique. On ne saurait la confondre avec un sentiment profond de mépris ou de rejet pour la différence physique. Cette pensée est bien sûr imprégnée de la société esclavagiste et coloniale de l’époque et inversement, elle est le ciment d’une idéologie qui justifie la suprématie blanche européenne dans le monde.

Au 19ème siècle, le concept de race se consolide sous l’effet de la seconde phase de colonisation. De nouvelles théories raciales apparaissent comme celle de Arthur de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines). Les sciences, telles que l’anthropologie, la phrénologie, la craniologie nourrissent ces théories en prouvant la prétendue infériorité des races non-blanches.

 © C. PURIG VERLAG VOLKER/BRIDGEMAN IMAGES
La mesure des corps humains au 19ème siècle, en l’occurrence de l’angle facial pour évaluer l’avancée de la mâchoire, permet de hiérarchiser les races  
©C. PURIG VERLAG VOLKER/BRIDGEMAN IMAGES

Néanmoins, ces théories ne restent pas confinées au monde des élites. Elles se diffusent dans le monde populaire et imbibent les représentations à travers la littérature, la presse, les manuels scolaires, les expositions coloniales, les publicités, les cartes postales, etc. Les zoos humains jouent un rôle clé dans ce processus en mettant en scène l’infériorité des peuples colonisés aux yeux du grand public.

Tous ces éléments concourent à l’existence de ce qu’on appelle aujourd’hui : le racisme.

Et aujourd’hui ?

Les progrès scientifiques au 20ème siècle et en particulier le développement de la génétique invalident l’existence de races biologiques au sein de l’humanité.

Pourtant, bien qu’il existe qu’une espèce humaine unique, le racisme est toujours présent dans nos sociétés. Il est en effet impossible d’effacer des siècles d’histoire en un claquement de doigts. Les inégalités que l’on peut observer aujourd’hui entre les groupes dits raciaux (les « Blanc.hes », les « Noir.es », les « Arabes », les « Asiatiques », etc.) en sont la preuve puisqu’elles ne sont en rien naturelles. Nos sociétés modernes ont construit ces hiérarchies en se basant sur le concept de race pour asseoir une organisation politique, économique et sociale inégalitaire du monde. C’est pourquoi la sociologie définit la race comme une construction sociale, comme un rapport de pouvoir qui a été construit par les sociétés.

On ne peut ainsi aborder la question du racisme uniquement sous l’angle de l’intention, de la morale ou de l’idéologie. Même la personne la plus bienveillante au monde peut commettre inconsciemment une action raciste parce qu’elle a grandi et a été éduquée dans une société qui infériorise constamment les personnes non-blanches.

Parler de racisme, c’est avant tout parler de pouvoir, de domination, de la façon dont la race continue de structurer les rapports sociaux que ce soit de manière très violente, explicite, banalisée, subtile, indirecte ou systémique. Car pour que l’égalité des groupes humains se vérifie autant sur le plan scientifique que sur le plan social, il ne suffit pas de croire ou de déclarer que « les races n’existent pas ». Il faut impérativement réduire les conséquences de cette histoire de domination sur nos sociétés actuelles et veiller à ne pas perpétuer les inégalités qui en découlent.

En bref

J’aime beaucoup la définition du philosophe brésilien Silvio Almeida. Dans son livre Racismo estrutural (Racisme structurel), il écrit :

« Le racisme est une forme systémique de discrimination fondée sur la race qui se manifeste par des pratiques conscientes ou inconscientes entraînant des désavantages ou des privilèges pour les individus, en fonction du groupe racial auquel ils et elles appartiennent ».

Je conclurai en disant que quand on est victime de racisme, on est réduit à une partie réelle ou supposée de son identité à cause de laquelle on est perçu comme étant radicalement différent et infériorisé. C’est ce même processus qui se répète lorsqu’on nous dit « t’es belle pour une noire », lorsqu’on stigmatise nos cheveux frisés ou crépus, lorsqu’on s’étonne de voir qu’on a un niveau d’études élevé, lorsqu’on nous refuse un logement en raison de notre couleur de peau ou qu’on nous demande de « rentrer chez nous », lorsqu’on subit des violences policières…

Sources :

5 réponses à “C’est quoi le racisme ?”

  1. […] L’afroféminisme est un mouvement qui lutte contre les oppressions systémiques que subissent les femmes noires. Je m’explique. Une oppression systémique, c’est un terme sociologique qui décrit le fait que l’organisation de la société avantage certains groupes sociaux au détriment d’autres (par exemple les hommes au détriment des femmes). Parmi ces oppressions dont sont victimes les femmes noires, on retrouve bien sûr le sexisme et le racisme (allez lire mon dernier article sur l’afroféminisme ou celui sur le racisme ❤️). […]

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