Que s’est-il passé entre les Comores et Mayotte ?

Depuis le 22 avril dernier, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a lancé l’opération « Wuambushu » à Mayotte consistant à expulser des étrangers en situation irrégulière et à démanteler certains bidonvilles. Selon le gouvernement, l’objectif est de lutter contre la délinquance et l’immigration illégale qui sévit à Mayotte.

Étant donné que la majorité des migrants illégaux sont originaires des Comores, cette opération cristallise et ravive les tensions entre Mahorais·es et Comorien·nes. Pour mieux comprendre l’origine de ces tensions, je me suis plongée dans l’histoire de ces territoires.

Avant tout, il faut savoir que l’archipel des Comores est composé de quatre îles : Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. Ces trois premières forment l’Union des Comores (un État à part entière) tandis que Mayotte est un département français. Les disparités entre ces deux territoires sont frappantes. Certes, Mayotte est le département le plus pauvre de France (77% de sa population vit sous le seuil de pauvreté) mais son PIB/habitant est dix fois supérieur à celui des Comorien·nes. Une situation qui explique en grande partie l’immigration massive comorienne à Mayotte.

Que s’est-il passé entre donc passé entre les Comores et Mayotte ?

1975 : l’indépendance ou le rattachement à la France

Tout se joue en 1975, date à laquelle Mayotte et les trois autres îles prennent deux chemins séparés. Le 22 décembre 1974, les habitants de l’archipel des Comores, colonie française, sont interrogés sur leur souhait d’indépendance. Alors que 99% des habitants de Grande Comore, d’Anjouan ainsi que de Mohéli votent pour l’indépendance, 63% des habitants de Mayotte votent pour le maintien au sein de la République française.

L’archipel des Comores se dirigeait donc vers l’indépendance. En effet, en droit international les référendums d’autodétermination doivent respecter les frontières issues de la colonisation. Les Comores constituant un territoire administratif unique en 1974, il aurait été cohérent que l’ensemble de l’archipel obtienne son indépendance. Le 10 juin 1975, le président Jacques Chirac présente ainsi un projet de loi qui accorde l’indépendance à l’ensemble de l’archipel.

Cependant, un retournement de situation se produit le 3 juillet 1975 lorsque la loi adoptée conditionne l’indépendance à l’acceptation d’un projet de Constitution qui « devra être approuvé île par île ». Pour les députés de Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli, cette loi est inacceptable. Aussi le 6 juillet, ils proclament unilatéralement l’indépendance. Mayotte reste alors française.

Contraire au droit international, ce rattachement de Mayotte à la France a été condamné plus de 20 fois par l’ONU. C’est d’ailleurs au sujet de Mayotte que la France utilise seule, pour l’unique fois de son histoire, son droit de veto au conseil de sécurité. L’Union des Comores n’a quant à lui jamais cessé de revendiquer sa souveraineté sur Mayotte.

Les raisons du revirement de 1975

Le revirement de 1975 est la résultante d’une conjonction de facteurs.

Les intérêts français à Mayotte

Mayotte assure à la France une présence stratégique dans l’océan Indien. Elle représente entres autres pour la France un contrôle de la circulation maritime dans le canal du Mozambique, des zones économiques exclusives et la possibilité de siéger au sein d’organisations internationales. Il n’est donc pas étonnant que la France n’ait pas souhaité se séparer de Mayotte.

La menace du régime d’Ahmed Abdallah

Si les Mahorais·es ont fait majoritairement le choix de rester français, c’est principalement par crainte du régime despotique d’Ahmed Abdallah. Ce dernier est un riche commerçant de l’île d’Anjouan et président du Conseil de gouvernement du territoire des Comores. Il est accusé d’avoir acquis de nombreuses terres à Mayotte et d’avoir insulté les Mahorais·es.

Or, la France lui offre son soutien et prend le soin de le présenter comme le président du futur État comorien indépendant. Valéry Giscard d’Estaing, candidat à la présidentielle de 1974, va jusqu’à passer un accord avec Ahmed Abdallah entre les deux tours de l’élection. Il promet à celui-ci l’indépendance contre les voix des Comorien·nes au second tour.

Face au spectre de l’oppression d’Abdallah, le rattachement à France apparaît de la sorte comme une meilleure alternative aux yeux des Mahorais·es.

Les rivalités et rancœurs entre Mahorais·es et Comorien·nes

Durant la colonisation, la France a privilégié l’île de Mayotte dans l’administration des Comores. Pourtant, la situation s’inverse brutalement en 1958 avec le transfert de la capitale de Dzaoudzi, sur l’île de Mayotte, vers Moroni, sur l’île de la Grande Comore. Les principales activités économiques sont à leur tour transférées à Moroni. Ce transfert est vécu comme une véritable humiliation à Mayotte et comme une tentative de domination de la part de la Grande Comore. Il est par conséquent central dans l’émergence d’un séparatisme mahorais.

La mobilisation du Mouvement populaire mahorais

Le transfert de la capitale en 1958 éveille la défiance de l’élite créole mahoraise. Elle est convaincue que Mayotte sortira perdante en cas d’indépendance de l’ensemble de l’archipel des Comores car ses trois voisins finiront par la dominer. L’élite créole se mobilise ainsi en vue de protéger leurs propres intérêts économiques menacés par l’indépendance. Elle se réunit lors du « Congrès des notables » qui donne naissance à l’Union de défense des intérêts des Mahorais (UDIM).

Quelques années plus tard, l’UDIM se transforme en Mouvement populaire mahorais (MPM) qui œuvre activement pour le rattachement de Mayotte à la France. Il exerce une forte influence sur une population analphabète à plus de 80%. Pour ce faire, il s’appuie sur deux forces d’intervention :

  • Les « chatouilleuses ». Ce sont de femmes qui protestent contre l’administration territoriale de l’époque. En effet, le transfert de la capitale à Moroni est à l’origine du départ de leurs maris, souvent fonctionnaires et d’une précarisation de leur situation. Ces militantes ont recours aux chatouilles contre les hommes politiques comoriens en visite à Mayotte mais aussi aux menaces, intimidations et jets de pierres afin de terroriser les « serrer-la-main » (les indépendantistes mahorais).
  • Les « bastonneurs », une milice masculine qui agresse et expulse des militants indépendantistes mahorais.
Les chatouilleuses

Dans sa lutte pour l’indépendance, le MPM s’allie également à l’Action française, parti monarchiste et colonialiste français.

Le lobbying colonial de l’Action française

L’Action française, un vieux parti monarcho-colonialiste souhaite maintenir Mayotte sous le giron français, d’où son rapprochement avec le MPM. Ce parti pèse de manière prépondérante dans les débats parlementaires au sujet de Mayotte à la métropole et il lance une campagne de presse, avec le slogan « 40 000 Français à sauver ». Des mensonges sont propagés, selon lesquels Mayotte n’aurait historiquement rien à voir avec les autres îles, l’islam des Mahorais·es serait plus modéré, ils seraient plus catholiques, etc. Pierre Pujo, directeur de l’Action française hebdo compare même le sort des Mahorais·es à celui des « 150 000 harkis que la France a laissé égorger ».

La conjonction de ces facteurs permettent de comprendre d’une part le choix de Mayotte de rester française en 1975 et d’autre part, celui de la France de ne pas considérer dans son ensemble les résultats du vote des quatre îles comoriennes sur l’indépendance. La France organise une seconde consultation de la population de Mayotte en 1976, à l’issue de laquelle celle-ci confirme son refus d’indépendance.

Après 1975 : une région sous tension

La sanctuarisation de Mayotte

Après l’indépendance de l’État des Comores, plusieurs mesures sont mises en œuvre à Mayotte afin de « sanctuariser » l’île ou en d’autres termes de la protéger face aux Comorien·nes.

Cela passe premièrement par le statut de l’île. En 1976, elle est dotée d’un statut provisoire de « collectivité territoriale à statut particulier ». À la suite d’un long processus de départementalisation, elle finira par devenir le 101ème département français en 2011.

Deuxièmement, en 1994 le gouvernement français impose un visa d’entrée aux Comorien·nes pour quelque déplacement que ce soit à Mayotte (se faire soigner, visite familiale, chercher un emploi, etc.). Il s’ensuit une hausse de l’immigration clandestine à Mayotte. Naturellement, celle-ci s’accompagne de morts d’immigrés clandestins qui tentent la traversée, d’exploitation de travailleurs clandestins, de tensions communautaires, etc. La réponse apportée par le gouvernement français à cette question a toujours été purement répressive, c’est-à-dire l’expulsion d’étrangers. Or, cette méthode n’a pas permis de faire baisser le nombre de clandestins à Mayotte.

Troisièmement, dans le but de sanctuariser Mayotte, les élus mahorais n’hésitent pas à restreindre le droit d’asile, pendant que les forces de l’ordre le violent en renvoyant des Anjouanais manu militari, y compris des enfants.

En parallèle, les investissements de l’État français pour le développement de l’île de Mayotte demeurent relativement faibles.

L’instabilité chronique aux Comores

De leur côté, les Comores ont connu entre 1975 et 2001 une vingtaine de coups d’État ou tentatives dont au moins 4 ont réussi. Ils ont été souvent perpétrés par des mercenaires français dirigés par Bob Denard pour répondre à des intérêts français. Bob Denard est un mercenaire français, très connu pour avoir orchestré de nombreux coups d’État en Afrique ; ce qui en fait un symbole du néocolonialisme français.

Bob Denard © Crédit photo : AFP

En définitive, la situation dans l’archipel des Comores est une illustration parmi tant d’autres d’un conflit post-colonial non résolu et des failles de la politique ultra-marine française.

Sources

2 réponses à “Que s’est-il passé entre les Comores et Mayotte ?”

  1. A reblogué ceci sur BLACK GIRL IN TOWNet a ajouté:
    En tant que Mahoraise, je trouve cet article très intéressant car il me rappelle la situation actuelle entre Mayotte et les Comores. Personnellement, il est vraiment difficile pour moi de comprendre cette animosité des Mahorais envers les Comoriens. Je pense que la France utilise encore la stratégie de « diviser pour mieux régner » pour maintenir son contrôle. Même si je vis en métropole et que je ne peux pas juger, je ressens le besoin de comprendre comment nous en sommes arrivés là

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    • Merci beaucoup pour ton commentaire ! Oui c’est une situation très complexe et c’est difficile de donner son avis quand on n’est pas sur place. C’est pour ça que j’ai préféré apporter un éclairage historique pour mieux comprendre le présent ! En tout cas, je suis ravie qu’il t’ait plu 😊

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