Il m’a fallu beaucoup de temps pour oser parler publiquement de ma réalité de femme noire de peur de passer pour une personne qui se victimise, qui est obsédée par sa couleur de peau, qui est communautaire, etc. Car oui, c’est toute l’ironie de l’histoire : la société nous rappelle constamment, à notre dépend, que nous sommes noir.es mais elle nous reproche d’en parler ! On est sommé de ne pas mettre mal à l’aise les personnes blanches avec « nos problèmes », d’autant plus qu’elles pourraient soudainement se sentir coupables ou encore pire, se rendre compte qu’elles ont des avantages… On devrait donc accepter en silence et avec le sourire qu’on nous dicte une identité figée, réductrice et négative.
J’ai pris l’habitude depuis mon enfance d’être perçue comme étant « différente » ou l’autre du fait de ma couleur de peau. J’ai pourtant des tas d’autres différences (je suis petite, mince, j’ai des yeux noirs en amande, etc.) mais la société a choisi que ma couleur de peau était MA DIFFÉRENCE fondamentale.
Les premières conversations que j’entretiens avec les gens tournent ainsi souvent autour de ma couleur de peau (même si on ne la nomme pas expressément) et ce, depuis toute petite. Le fameux « tu viens d’où ? » et sa variante plus douce « t’es de quelle origine ? » sont en général une manière déguisée de parler de ma couleur de peau.
Puis, c’est à travers pleins de petits gestes et remarques quotidiens que les gens (je parle essentiellement de personnes non noires) me ramènent à ma couleur de peau : lorsqu’ils interprètent mes comportements en fonction de ma couleur de peau, lorsqu’ils m’assimilent sans aucune raison apparente à d’autres personnes noires, lorsqu’ils me posent mille et une questions maladroites sur mon phénotype et ma « culture africaine »,…
Je suis aussi renvoyée à ma couleur de peau à chaque fois que je peine à trouver des produits cosmétiques adaptés à ma carnation ou à trouver un coiffeur ou une coiffeuse puisque la majorité n’ont jamais été formés à l’entretien de cheveux crépus. On est donc obligé de se tourner vers des alternatives dites « communautaires » et « ethniques ».
Je me rappelle également que je suis noire à chaque fois que je désire faire quelque chose (trouver un travail, un logement, voyager, sortir avec mes cheveux naturels, …) mais que je sais que je serais potentiellement discriminée à cause de ma couleur de peau. Cela ne se produit certes pas tout le temps, cependant je sais au fond de moi que ce risque existe.
Je prends encore plus conscience de ma condition de personne noire quand je vois qu’étrangement on réserve aux personnes noires comme moi plus ou moins le même traitement. Que ce soit dans les dessins animés, dans les films, les séries ou les livres, nous nous faisons rare et quand nous sommes présents, nous jouons des rôles secondaires et/ou stéréotypés en lien avec notre couleur de peau. Dans la vie réelle, je ne peux que constater que beaucoup de métiers précaires sont exercés par des personnes noires, comme si certaines places nous étaient dévolues dans la société. Enfin, lorsque j’échange avec des connaissances ou des amis noirs en France mais aussi aux quatre coins du monde, je me rends compte que nous traversons globalement les mêmes expériences toujours liées à notre couleur de peau.
Alors oui, je parle beaucoup de ma couleur de peau car elle conditionne la façon dont je suis perçue, traitée et considérée ; et tant que la valeur que m’accordera la société sera dépendante de ma couleur de peau, je continuerai à en parler. Ce n’est pas qu’UNE couleur de peau. C’est mon histoire et mon expérience et celles des personnes partageant la même condition que moi. Et où sont ces gens offusqués par un simple « je suis noir.e » lorsque les personnes noires se voient continuellement réduites à leur couleur de peau ? Pourquoi ne pourrais-je pas me réapproprier le droit de dire fièrement « je suis noire » sans que la société m’en impose une définition ?


2 réponses à “Pourquoi parles-tu autant de ta couleur de peau ?”
[…] une manière très fourbe de nier notre expérience du racisme. Comme je l’expliquais dans cet article, nous vivons dans une société qui nous ramène constamment à notre couleur de peau à notre […]
J’aimeJ’aime
[…] Je partage d’ailleurs ma frustration à ce sujet dans cet article nommé « Pourquoi parles-tu autant de ta couleur de peau ? ». […]
J’aimeJ’aime