3 classiques insupportables dans les fictions sur l’esclavage

Dernièrement, je suis tombée sur la série pour ados Siempre bruja (Éternelle sorcière) sur Netflix. Bon, cette série date de 2019, donc autant vous dire que j’arrive clairement après la guerre mais je pense que ça vaut le coup de s’y arrêter car comme vous allez le voir, le synopsis de cette série est assez problématique.

Siempre bruja raconte l’histoire de Carmen, une jeune femme afro-colombienne esclave et sorcière au 17ème siècle. Accusée d’avoir ensorcelé le fils de son maître avec qui elle entretient une relation amoureuse, elle est sur le point d’être brulée vive. Ce dernier, Cristobal est lui-même assassiné par son propre père pour avoir déshonoré sa famille. Pour sauver à tout prix l’élu de son cœur, Carmen fait alors un pacte avec un sorcier nommé Aldemar. Aldemar ramènera à la vie Cristobal à condition que Carmen accepte de voyager dans le futur momentanément pour lui rendre un service grâce à ses pouvoirs de sorcière.

Dans cet article, je vais pointer 3 choses qui m’ont profondément dérangée dans cette série et qu’on retrouve malheureusement dans pleins de fictions qui ont pour toile de fond l’esclavage. Donc pas d’inquiétude si vous n’avez pas regardé la série, vous serez sûrement familiers des éléments que j’analyserai ! En réalité, cette série est un prétexte pour moi de dénoncer la manière dont les œuvres culturelles nous transmettent une vision déformée de la traite négrière et manquent de respect par la même occasion à toutes les personnes noires.

Les « histoires d’amour » pendant la traite négrière

Carmen et Cristobal

Attention, on s’attaque ici à un très très grand classique : les « histoires d’amour » entre maîtres et femmes esclavisées pendant la traite négrière. Nombre de fictions ont glamourisé ces relations suscitant la fascination et l’empathie du public. Quoi de mieux pour symboliser un amour interdit et impossible, n’est-ce pas ? Dans le cas ici présent, Carmen et Cristobal bravent tous les obstacles inimaginables pour vivre leur amour. Carmen est même prête à revenir dans le passé, c’est-à-dire dans un monde où la traite négrière est encore en vigueur, pour retrouver Cristobal.

Ces fictions présentent selon moi deux gros problèmes. Premièrement, elles édulcorent l’horreur qu’a été l’esclavage et occultent les violences sexuelles dont souffraient les femmes esclavisées. Deuxièmement, elles romantisent des relations de domination car qu’on le veuille ou pas, les maîtres (ou enfants de maîtres) sont dans une position de pouvoir vis-à-vis des personnes esclavisées. Il est alors très questionnable de parler d’ « histoires d’amour ».

Épisode 8 de Siempre bruja

Dans cette scène, le père de Cristobal lui dit qu’il ne peut pas aimer Carmen parce qu’elle est une esclave, noire et sorcière. Il lui répond qu’il l’aime justement pour ces trois raisons. Que doit-on comprendre par cette affirmation ? Est-il seulement attiré par sa condition de personne dominée dans la société ?

Une trame qui tourne principalement autour de personnages blancs

Les protagonistes de la série

Le deuxième point que je trouve très dérangeant dans Siempre bruja c’est le casting qui est majoritairement blanc. Mis à part Carmen la protagoniste et son ami Daniel qu’elle rencontre en voyageant dans le futur, le reste des personnages principaux sont blancs. Les autres acteurs et actrices noirs qu’on peut croiser dans la série (je parle ici de la saison 1) sont cantonnés à des rôles secondaires ou de figurants.

Or, un réalisateur ou une réalisatrice qui a cœur de raconter l’histoire des personnes noires pendant la traite négrière attribuera naturellement des rôles de protagonistes à plusieurs acteurs et actrices noirs. Sinon, son objectif est tout autre et c’est là qu’on tombe très souvent dans de l’irrespect. En l’occurrence, j’ai eu le sentiment qu’on utilisait une histoire si importante pour les personnes noires qu’est l’esclavage pour au final mettre la lumière sur des personnes blanches.

Pourtant, je pense qu’il aurait été possible de traiter des questions raciales cruciales à travers cette série. Par exemple, lorsque Carmen voyage dans le futur dans une Colombie où l’esclavage a été aboli, il aurait été logique qu’elle ait encore des traumatismes hérités de son ancienne condition d’esclave. Au lieu de cela, la seule chose qui semble la déstabiliser c’est l’avènement de la technologie et des réseaux sociaux. J’aurais aussi aimé voir comment elle vit différemment son identité noire. De plus, à aucun moment, on ne nous montre comment la ville de Carthagène est traversée par des inégalités raciales en dépit de l’abolition de l’esclavage. On a l’impression qu’on atterrit magiquement dans une société où la race a disparu.

Le personnage du « gentil Blanc »

Troisièmement, j’aimerais qu’on s’attarde sur un personnage type qu’on retrouve dans les fictions sur l’esclavage (ou qui traitent de questions raciales). Je l’appelle personnellement le personnage du « gentil Blanc ». Il s’agit d’un personnage blanc qui défend envers et contre tous les droits des personnes noires dans un contexte colonial et/ou esclavagiste et dont la présence est censée nous rappeler que tous les Blancs n’étaient pas méchants. C’est pourquoi il occupe souvent un rôle central dans la trame.

Je ne suis pas contre le fait de représenter des personnages d’abolitionnistes blancs dans des œuvres puisqu’ils ont réellement existé (j’en ai d’ailleurs plus ou moins parlé dans cet article). Toutefois, dans certaines œuvres, je ressens qu’il y a une certaine crainte de culpabiliser un public blanc en parlant frontalement de traite négrière, qui pousse les réalisateurs et réalisatrices à créer des personnages de « gentils Blancs ». Dans Siempre bruja, je trouve que c’est assez évident : d’une part, les questions raciales sont totalement effleurées et d’autre part, on invente un personnage de gentil Blanc fou amoureux d’une esclave en la personne de Cristobal.

En somme, je trouve dommage qu’on prenne autant de pincettes à aborder un sujet si important. Cela corrobore également l’idée que ces trames ne sont pas écrites pour nous personnes noires mais avant tout pour un public blanc qui ne doit pas se sentir vexé en les regardant.

Après avoir lu cet article, vous comprenez mieux d’où sortent tant de bêtises qu’on entend sur l’esclavage. Les fictions façonnent énormément la mémoire que l’on a de l’esclavage. Si vous avez regardé cette série, n’hésitez pas à me dire en commentaire si vous êtes d’accord avec mon analyse et si vous ne l’avez pas regardé, dites moi si vous avez déjà observé ces différents éléments dans d’autres fictions 😊 !

3 réponses à “3 classiques insupportables dans les fictions sur l’esclavage”

  1. Merci pour cet article super intéressant.
    Je me demande également ce qui selon l’auteur explique cet amour soudain d’un héritier esclavagiste que tout a façonner pour asservir.
    Il est curieux qu’il se réveille un matin fou d’amour pour quelqu’un qu’il n’a pas pu prendre le temps de connaître.
    Je pense qu’on a affaire ici à un personne qui s’inscrit dans l’idéologie du sauveur blanc ou un personnage fétichiste qui se complet à l’idée de s’arroger les faveurs – biaisées- d’une femme réduite à l’état d’esclave.

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