Le jazz est politique

Hola, en cette période angoissante de post-élections législatives, je voulais revenir avec un sujet rayonnant de positivité. J’ai donc choisi de parler de musique et plus précisément d’un genre reconnu à travers le monde entier : le jazz !

J’ai une grande admiration pour ce genre musical très riche qui est né de la créativité et de la résilience des communautés afro-américaines et qui a su s’exporter et s’affirmer jusqu’à aujourd’hui. Comme en témoignage l’image ci-dessous, le jazz a donné naissance et a influencé une multitude de genre musicaux actuellement en vogue.

L’arbre du jazz. Source : https://www.jazzhistorytree.com/  

Au lieu de vous raconter l’histoire du jazz de manière chronologique, j’aimerais plutôt vous expliquer dans cet article pourquoi le jazz est politique. Par politique, j’entends que son histoire est intimement liée à la condition noire aux États-Unis.

Les racines afro-américaines du jazz

Le jazz puise sa source dans l’héritage musical des esclaves noirs africains : les work songs, les negro spirituals, le gospel et le blues. Ces musiques sont un refuge pour ces esclaves souhaitant surmonter leurs conditions de vie inhumaines. Les work songs par exemple sont des chants rythmiques entonnés par les esclaves pendant les travaux agricoles dans les plantations pour synchroniser leurs mouvements de travail et se donner du courage.

Le jazz à proprement parler naît au début du 20ᵉ siècle à La Nouvelle-Orléans. L’une de ses caractéristiques principales est l’improvisation, contrairement à la musique classique où le musicien/la musicienne suit une partition. Ses instruments de base sont les cuivres et les percussions pour les fanfares, les contrebasses, le piano et les batteries pour les groupes de clubs.

Une musique marginalisée

Associée aujourd’hui au raffinement et à l’élitisme, l’image du jazz est beaucoup moins glorieuse à ses débuts. En effet, le jazz se développe d’abord dans les cabarets, les salles de divertissement et les bars du quartier de Storyville à La Nouvelle-Orléans. Il s’agit certes d’un quartier festif où des personnes blanches enfreignent la ségrégation raciale pour aller voir jouer des personnes noires mais c’est aussi un quartier associé au vice parce qu’il est marqué par le trafic de drogue et la prostitution, contribuant ainsi à donner au jazz une image immorale et « sale ».

La fermeture du quartier de Storyville par la Navy (force armée de la marine aux États-Unis) en 1917 conjuguée à l’essor de l’industrialisation pousse les musiciens de jazz à migrer vers d’autres villes comme New York et Chicago. Cela permet au jazz de jouir d’une popularité au-delà de La Nouvelle Orléans.

L’appropriation culturelle du jazz

Malgré ses racines afro-américaines, le premier disque commercial de jazz est enregistré en 1917 par un groupe de musiciens blancs nommé l’Original Dixieland Jazz Band. Les maisons de disque étant majoritairement tenues par des personnes blanches à l’époque, il n’est pas étonnant qu’elles aient préféré faire appel à des musiciens blancs. Avec un million et demi d’exemplaires vendus, ce disque connaît un succès immédiat et popularise le jazz auprès du grand public.

Nick La Rocca, le leader du groupe n’hésita pas à effacer les origines afro-américaines du jazz. En 1936, il déclare au magazine Tempo : « Notre musique est strictement blanche. Je veux dire que c’est auprès des Blancs que les Noirs ont appris cette musique et ces rythmes. … Les Noirs n’avaient jamais joué de musique équivalente auparavant ». Ce cas est emblématique de ce qu’on appelle l’appropriation culturelle, puisque cet artiste blanc s’est approprié des éléments d’une culture dominée en gommant ses origines.

L’interdiction du jazz dans certains espaces

Plus haut, je parlais de l’image immorale et « sale » du jazz. Cette stigmatisation lui a valu une interdiction dans certains espaces. Une loi du 24 mars 1922 interdit le jazz dans les écoles publiques de La Nouvelle-Orléans, pourtant berceau de ce genre musical, à cause de sa nature « grossière ».

Dans les années 1930, alors que le jazz connaît un fort engouement en Europe, l’Allemagne nazie cherche à enrayer son développement. Dans le cadre de sa politique culturelle visant à éradiquer la musique dite « dégénérée » afin de préserver la musique dite pure, elle interdit en 1935 la diffusion du jazz à la radio. Le jazz est qualifié de musique « nègre », immorale et primitive.

Cette affiche diffusée dans le cadre de l’exposition Entartete Musik (« musique dégénérée ») en 1938 illustre la propagande nazie à l’encontre du jazz.

Une arme diplomatique secrète

Le paradoxe du jazz est que son succès s’accompagne d’un mépris découlant du racisme de la société. Pourtant, pendant la Guerre froide le gouvernement états-unien a besoin du jazz afin de conquérir l’opinion publique internationale. De fait, la ségrégation raciale et en particulier le meurtre raciste du jeune afro-américain Emmet Till ternissent l’image des États-Unis à l’international, en révélant au grand jour leur hypocrisie.

Pour réaffirmer le soft power états-unien, l’Agence d’information des États-Unis (USIA) lance en 1955 le programme « Jazz Ambassadors » qui consiste à organiser des tournées de jazz à travers le monde, avec à l’affiche des jazzmen de renom (Dizzy Gillespie, Louis Armstrong, Duke Ellington par exemple). Cette décision ne fait pas l’unanimité au sein de l’USIA, certains remettent en cause la capacité du jazz, qu’ils considéraient être une musique populaire et noire, à incarner le prestige de l’identité états-unienne mais les arguments en faveur du jazz terminent par l’emporter. Dès lors, le jazz devient une arme politique de propagande dans le cadre de la Guerre froide.

C’est révoltant de voir à quel point les personnes noires peuvent être à la fois opprimées (rappelons que la ségrégation raciale était en vigueur aux États-Unis) et mises en avant uniquement lorsque cela sert les intérêts du gouvernement, comme si elles étaient des pions. Les jazzmen noirs n’étaient toutefois pas totalement dupes concernant le double discours du gouvernement états-unien. Ces tournées représentaient avant tout pour eux un moyen de montrer la beauté du jazz et de la culture noire américaine et de porter la question des droits civiques à l’étranger.

En 1957, Louis Armstrong avait même refusé d’aller en tournée en Union Soviétique en protestation contre les violences racistes subies par neuf étudiants noirs à Little Rock qui ont été interdis d’entrer dans un lycée jusque-là réservé aux Blancs. Il finira par accepter 3 ans plus tard.

Un outil d’émancipation

Si le jazz a été utilisé pour détourner l’attention de la ségrégation raciale aux États-Unis, il a aussi été un outil puissant au service de la lutte pour les droits civiques. De nombreux artistes ont élevé leur voix pour dénoncer la condition des Afro-Américains, par exemple :

  • Strange Fruit, Billie Holliday
  • L’album We Insist! d’Abbey Lincoln et de Max Roach (1960)
  • Alabama, John Coltrane (1963)
  • Mississippi Goddam, Nina Simone (1964)
  • Backlash Blues, Nina Simone (1967)

J’espère que vous avez apprécié lire cet article. N’hésitez pas à me dire si vous voulez que je me penche sur un autre genre musical issu des diasporas africaines !


Sources

2 réponses à “Le jazz est politique”

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