Être la seule Noire dans un milieu blanc

Hola, aujourd’hui j’aimerais vous parler d’un sujet qui fera sûrement grincer des dents certaines personnes : être la seule Noire dans un milieu blanc. En effet, on me demande souvent s’il y a beaucoup de personnes noires dans la structure dans laquelle je travaille. Question à laquelle je réponds « non ». S’ensuit alors une série de questions pour savoir comment je le vis, est-ce que je subis du racisme, est-ce que je ne me sens pas trop seule, en décalage, etc. Disons que j’ai l’habitude de ces questions, qu’on me pose depuis mes études supérieures… Et peut-être même depuis toujours maintenant que j’y réfléchis😂.

Sans surprise, la plupart des personnes qui me posent ces questions sont elles-mêmes noires. Il n’y a pas de curiosité mal placée de leur part mais plutôt de l’inquiétude, voire de la solidarité. En tant que personne noire, on sait intérieurement qu’être une minorité dans un milieu blanc peut se traduire par un lot de situations désagréables, voire douloureuses.

J’ai hésité à publier cet article car je pense honnêtement avoir la chance de me sentir plutôt bien dans l’ensemble et comme on dit, il y a pire. Cependant, après réflexion, ce n’est pas une raison pour enfouir ou minimiser ce qui ne va pas. Le sujet reste tout autant légitime. J’ai donc décidé de vous faire part de tout ce qu’a pu impliquer de négatif pour moi d’être la seule Noire dans un milieu blanc.

Se rendre compte qu’on n’est pas bienvenu partout

Le fait de me retrouver la seule Noire dans un milieu blanc a coïncidé pour moi avec le fait d’évoluer dans des milieux plus privilégiés. Comme je l’ai dit précédemment, ça a été le cas lors de mes études supérieures dans une grande école et dans mon travail actuellement. Cela m’arrive aussi quand je vais au musée, dans certains lieux touristiques en vacances, dans certains restaurants, dans certains événements, etc. Je me suis totalement habituée à cette position minoritaire. Je ne m’étonne plus par exemple d’être la seule Noire dans une réunion de travail. Au contraire, je serai plutôt surprise (mais ravie !) de voir d’autres personnes noires dans un endroit où on ne s’y attend pas. En effet, j’ai fini par intégrer l’idée que plus on évolue dans un milieu privilégié, moins on voit de personnes noires. Les privilèges peuvent correspondre à des capitaux économiques, sociaux et culturels au sens bourdieusien du terme. Cette expérience m’a ainsi permis de me rendre compte de mes propres yeux des interconnexions entre race et classe socio-économique. Certes, on ne nous interdit pas formellement d’entrer dans certains espaces mais le racisme ambiant qui nous prive d’un certain nombre de privilèges nous en empêche.

Se censurer

Me censurer, cela signifie que je vais parler le moins possible de mes origines et de ma culture congolaises et de racisme alors que ce sont des sujets importants dans ma vie avec lesquels je me sens à l’aise. Toutefois, j’anticipe plein de situations désagréables qui pourraient se produire si j’en venais à « trop » mettre en avant mes origines ou mes convictions antiracistes. J’ai par exemple la flemme qu’on veuille connaître toute mon histoire familiale et mon parcours migratoire ou celui de ma famille. J’ai la flemme d’écouter des remarques ou des questions gênantes sur l’Afrique (par exemple, les gens qui vont m’associer à tout ce qui vient de l’Afrique alors que parfois, la chose en question n’a strictement rien à voir avec moi). J’ai la flemme que l’on s’émerveille devant mon histoire « parce que j’ai réussi à m’en sortir alors que rien ne me prédestinait à ce parcours ». J’ai la flemme de passer pour la fille noire qui ne parle que de racisme/qui voit du racisme partout. J’ai la flemme de passer pour la fille qui apporte de la diversité parce qu’elle parle de sa culture.

Si j’ai autant la flemme de tout cela, c’est parce que j’ai déjà vécu des situations similaires par le passé et que j’essaie à tout prix de les éviter.

Contrôler ses comportements

Comme pour le point précédent, il s’agit d’une action par anticipation. J’ai bien en tête tous les stéréotypes qu’a construit la société blanche sur les personnes noires et je n’ai pas envie d’y être réduite. Par anticipation, je vais ainsi contrôler mes actions pour ne pas passer pour la fille noire pas assez intelligente, pas assez cultivée, qui ne sait pas s’exprimer ou se tenir. Parfois, je préfère même me taire plutôt que parler et qu’on juge ma façon de parler. Avec du recul, je trouve cela triste parce que mon comportement prouve que je ne me suis pas totalement détachée du regard blanc et de la validation blanche. Cet article me rappelle donc que j’ai encore beaucoup de travail à faire sur moi-même.

Se rendre compte qu’on n’a pas eu la même vie

Être la seule noire dans un milieu blanc, c’est aussi mieux réaliser ce que c’est d’être noire par opposition aux autres. Il m’est arrivé à maintes reprises de me sentir comme une étrangère lors de conversations parce qu’en tant que personne noire, je ne pouvais pas m’identifier à ce que racontaient les gens (je précise tout de même que ma classe sociale joue beaucoup dans cette distance que je peux ressentir vis-à-vis des autres). Je me souviens en particulier d’une conversation entre femmes sur les difficultés d’apprécier sa nature de cheveux. La conversation était certes super intéressante mais les réalités décrites étaient à mille lieux de celles d’une femme noire à la chevelure crépue.

À l’inverse, les gens me regardent parfois avec des gros points d’interrogation dans les yeux lorsque je parle de certaines de mes expériences ou de certaines références qui me paraissent tellement naturelles. Un jour, j’avais mentionné les séries Ma famille d’abord et Phénomène Raven qui sont pour moi cultes. Quelle fut donc ma surprise de constater qu’elles n’était pas familières ou presque pas aux personnes autour de la table ! Loin de moi l’idée de penser que toutes les personnes blanches ne connaissent pas ces séries mais j’ai réalisé que j’ai pu particulièrement m’attacher à certains films et séries afros pendant mon enfance et mon adolescence car elles étaient l’une des seules représentations de personnes noires à la télévision. Bien sûr que je ne peux pas m’attendre à ce que les personnes blanches développent ce même niveau d’attachement. De même, je sais qu’il y a peu de chances que les personnes blanches connaissent les créatrices de contenu noires que je regarde, aussi connues soient elles.

Bref, j’ai parfois l’impression qu’on vit dans deux mondes parallèles. Par moments, j’en ris, mais d’autres fois, ce décalage me laisse un sentiment de solitude. En écrivant cet article, je prends conscience qu’il me serait très difficile de vivre constamment dans cette position minoritaire. Heureusement, j’ai de la famille, des amis et des connaissances avec qui je n’ai pas à me préoccuper de toutes ces choses que j’ai décrites ici.

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