Se construire dans un monde coloriste #1

Le colorisme. Si cela fait moins de 10 ans que j’ai appris ce terme, j’en connais la réalité depuis ma plus tendre enfance. Je sais, depuis toute petite, sans le verbaliser pour autant, que plus tu es foncé.e de peau, moins tu es valorisé.e par la société. Sans que je m’en rende compte, la conscience de cette hiérarchie a considérablement affecté mon estime de moi, en tant que fille noire à la peau foncée (brown skin) et aux cheveux crépus. Aujourd’hui, du haut de mes 26 ans, je souhaite prendre du recul sur cette réalité pour réfléchir à la manière dont le colorisme affecte positivement ou négativement notre estime de soi.

Ce sera ainsi l’objet de cet article. Je parlerai exclusivement du colorisme qui touche les communautés noires. En plus de mon expérience personnelle, je me suis appuyée sur une dizaine de témoignages d’abonnées qui ont répondu à un sondage que j’ai lancé sur mon compte Instagram et sur des ressources que j’ai listées à la fin de cet article. En l’absence de témoignages masculins, cet article sera totalement écrit depuis un point de vue féminin.

Les origines du colorisme

La Rédemption de Cham de Modesto Brocos (1895)

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je suis obligée de faire un petit détour historique et sociologique pour mieux comprendre ce qu’est le colorisme.

Le colorisme est une hiérarchisation raciale au sein des communautés non blanches qui réserve des avantages aux carnations les plus claires et, à l’opposé, fait subir des préjudices aux peaux les plus foncées. En bref, plus tu es clair.e de peau, plus tu es valorisé.e par la société, et inversement.

Il prend racine dans l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, où les personnes noires étaient hiérarchisées en fonction de leur proximité à la blanchité. Les personnes colonisées et/ou réduites en esclavage, métisses ou à la peau claire, jouissaient d’une position sociale supérieure à celle de leurs pairs à la peau foncée. Elles étaient mieux perçues, étaient assignées à des tâches moins physiques, avaient plus de chances d’avoir accès à une éducation, de connaître une ascension sociale et d’être affranchis.

La teinte de la peau est par conséquent un critère central dans ce système, mais celui-ci prend aussi en compte toutes les caractéristiques physiques associées à l’africanité ou à la blanchité, telles que les traits du visage – les traits fins, perçus comme une marque de blanchité, sont valorisés – ou la texture des cheveux – les cheveux lisses, également perçus comme une marque de blanchité, sont valorisés.

Ainsi, le colorisme est un sous-produit du racisme basé, comme l’explique l’avocate et autrice brésilienne Alessandra Devulsky dans son essai Le colorisme, « sur l’idée de supériorité blanche et le rejet du Noir comme archétype négatif à éviter à tout  prix ». Colorisme et racisme sont donc intimement liés, ce qui rend leur combat indissociable. Valoriser les Noirs à la peau claire, c’est réaffirmer le système raciste car ces derniers ne sont valorisés que parce qu’ils se rapprocheraient des Blancs.

Enfin, comme le racisme, le colorisme s’étend à toutes les sphères de la société : relations intimes, normes de beauté, accès à l’emploi, classes socio-économiques, … Son empreinte est omniprésente.

Le poids du colorisme dès le berceau

La découverte du colorisme intervient dès l’enfance, voire dès le berceau. Je n’ai pas appris le colorisme comme on apprend une leçon à l’école mais j’ai pris conscience de son existence très tôt car les gens qui m’entouraient, à travers des mots, des gestes et leurs attitudes, validaient l’idée que les personnes noires à la peau claire avaient plus de valeur que les personnes foncées.

La famille est l’un des premiers milieux où l’on est confronté au colorisme. Elle donne une réalité à ce concept – qui à l’origine, rappelons-le, n’est qu’une pure invention – en conditionnant ses paroles et ses gestes d’affection, son traitement à la teinte de la peau. En effet, petite, j’observais que les enfants clairs de peau recevaient plus de compliments sur leur physique. La peau foncée n’était presque jamais valorisée, au contraire elle était souvent dépréciée. Il ne fallait pas trop s’exposer au soleil pour ne pas « noircir », il fallait bien se laver la peau pour ne pas être trop Noire, il fallait éviter les crèmes qui faisaient « noircir ». Aussi absurde que cela puisse paraître, tout cela se passait si naturellement qu’il ne m’était jamais venu à l’esprit de remettre cette idée en question. Je l’ai même intériorisée, je rattachais des valeurs positives à la peau claire et négatives à la peau foncée. Dans mon esprit, il valait mieux être claire de peau que foncée ; et le plus triste dans tout cela, c’est que c’était vrai. D’ailleurs, il y avait toujours quelqu’un pour le dire haut et fort, sans ambages, comme en attestent les témoignages ci-dessous.

Au-delà ou en dehors de la famille (car certains ont probablement eu la chance de ne pas avoir grandi dans des familles coloristes🫶🏾), l’environnement extérieur vient conforter dès l’enfance l’idée d’une supériorité des personnes claires de peau sur les personnes à peau foncée. Dans les dessins animés, les livres, les films, les clips musicaux, les rares fois où les personnes noires étaient mises en avant, elles l’étaient par des personnes métisses et/ou claires de peau. Et si elles avaient les traits fins, les yeux clairs et les cheveux bouclés ou frisés, c’était le combo gagnant ! On leur reconnaissait une beauté, voire une féminité (pour les femmes), qu’on déniait aux peaux foncées, si bien que ces Noirs à la peau claire finissaient par paraître comme « des Noirs pas comme les autres ». Je n’arrivais pas à m’identifier totalement à eux, même si j’étais bien sûr contente de voir des personnes noires à l’écran. C’était comme si un mur nous séparait, car je savais dans le fond qu’on ne jouait pas du tout dans la même cour.

Embrasser le colorisme et sa violence

Le système coloriste continue d’exister car tout le monde le valide constamment. En ayant grandi dans un environnement coloriste, on finit effectivement par en accepter les codes et à les reproduire. Cela signifie entre autres définir sa valeur et celle des autres sur la base de critères coloristes. L’un des souvenirs marquants que j’ai à ce sujet remonte à mes 11-12 ans. J’étais en cours de piscine et une copine noire, qui était plus foncée que moi, m’a dit « whaou, t’as les bras super clairs, on dirait une métisse ! ». Je lui ai répondu « merci ! », comme si c’était un compliment évident. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de peine pour mon amie et moi-même, dont l’estime était totalement altérée par le colorisme. Elle considérait que ressembler à une métisse était un compliment. Quant à moi, j’avais naturalisé l’idée qu’on puisse hiérarchiser les parties de mon corps en fonction de leur teinte. J’avais aussi naturalisé le fait qu’une fille plus foncée me complimente sur mon corps, en se rabaissant elle-même. Le colorisme était profondément ancré en nous, la valeur de chaque partie de nos corps reposait sur leur proximité ou pas à la blanchité et nous avions toutes deux accepté cette violence.

Cette violence n’épargne pas non plus les filles à la peau claire. Certaines créatrices de contenu, comme Honey Shay ou Pop Laura, ont témoigné que la texture crépue de leurs cheveux était dévalorisée, en opposition à leur peau claire, et que cela réduisait leur capital beauté aux yeux de la société. Une expérience qui a considérablement fragilisé leur estime d’elles-mêmes.

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Sources :

3 réponses à “Se construire dans un monde coloriste #1”

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