La colonisation dans nos tasses

thé et café

Je viens de terminer Le monde dans nos tasses de Christian Grataloup, un essai passionnant qui retrace l’histoire du petit-déjeuner à travers le prisme de la mondialisation.  Si j’ai choisi ce livre, ce n’est pas un hasard : cela fait un moment que je m’interroge sur mon alimentation et sur la manière dont elle est influencée par la colonisation. N’en déplaise à celles et ceux qui clament que la colonisation, c’est du passé, ce que nous mangeons au quotidien, et qui nous semble si évident, est en grande partie marqué par notre histoire coloniale. Pour en parler, quoi de mieux que de s’intéresser au petit-déjeuner, qui est comme l’affirme Christian Grataloup, le repas « champion de la mondialisation ».

 Le petit-déjeuner : un luxe colonial devenu rituel quotidien

Le petit-déjeuner, tel qu’on le connaît aujourd’hui, naît au 18ème siècle en Europe, période où l’aristocratie et la haute bourgeoisie se prennent de passion pour trois boissons chaudes, le café, le thé et le chocolat, toutes à base de produits d’origine tropicale. Le cacaoyer est un arbre d’Amérique centrale et du Sud, le théier est un arbuste chinois, et le caféier est un arbre originaire d’Éthiopie. À ces boissons, ils associent du lait et du sucre, également issus d’une plante tropicale, la canne à sucre.

Le Déjeuner, François Boucher (1739)

Ces produits ne pouvant pousser que dans des régions tropicales ou subtropicales, les Européens vont développer des plantations dans leurs possessions coloniales en exploitant des esclaves déportés d’Afrique. Les îles à sucre, à café et à chocolat se multiplient ainsi au 18ème et 19ème  siècles dans les océans Indien et Pacifique. Le petit déjeuner n’aurait pas pu se généraliser dans les sociétés européennes, sans la production massive de ces matières premières assurée par une main-d’œuvre servile noire dans les plantations.

Le café

Récolte de café dans une ferme de Forquilha do Rio, dans la commune de Dores do Rio Preto, au Brésil, le 23 novembre 2017 afp.com/MAURO PIMENTEL

Le café, qui était déjà très consommé dans le monde musulman, devient à la mode dans les cours royales et les milieux aristocratiques européens au milieu du 17ème siècle. Au fil du temps, cette pratique alimentaire gagne la société entière et la demande augmente. Pour y répondre, les Européens développent une culture coloniale du café à partir du 18ème siècle : les Hollandais sont les premiers à l’introduire à Java, puis à Curaçao et au Surinam. Dans les années 1770, Saint-Domingue (Haïti) devient la plus riche des colonies françaises grâce à ses plantations de café. Puis, à partir des années 1830, Haïti est dépassé par le Brésil, qui est encore aujourd’hui le premier producteur mondial.

Le thé

Au cours de la seconde moitié du 17ème siècle, les classes aisées d’Europe occidentale adoptent l’habitude de boire du thé dans des tasses de porcelaine. La Chine est longtemps restée le seul exportateur de thé. Cette situation ne plaît pas à l’Empire britannique qui souhaiterait ravir à son rival le secret de la boisson. Le botaniste anglais Robert Fortune, envoyé en mission en Chine par la Compagnie britannique des Indes orientales, y parvient en 1848. Il ramène clandestinement de son voyage des plants de thé, qui permettront de développer une production coloniale de thé en Inde, dans la région de l’Assam, puis à Ceylan. Aujourd’hui, la Chine a maintenu son rang de premier producteur de thé mais l’Inde se place en deuxième position.

Le chocolat

Les premières fèves de cacao arrivent en Europe en 1528, apportés par le conquistador espagnol Hernán Cortes. La boisson amère, agrémentée de lait et de sucre, rencontre progressivement un succès dans l’aristocratie et le clergé espagnols, avant de se répandre dans toute la société espagnole, puis dans le reste de l’Europe au 17ème siècle. Comme pour le café, la hausse de la consommation de chocolat en Europe coïncide avec l’expansion des plantations de cacao dans les colonies : d’abord dans les Amériques d’où le fruit est originaire, ensuite en Asie et en Afrique dans le golfe de Guinée au 19ème siècle. São Tomé-et-Principe, où les Portugais ont introduit la culture coloniale du cacao, est à la tête de la production mondiale de fèves, ce qui lui vaut le surnom « l’île chocolat ». Aujourd’hui, les plus gros producteurs de cacao sont la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Un héritage colonial bien visible

Les circuits de production et de consommation mis en place à l’époque coloniale perdurent. Les pays producteurs sont, pour la plupart, d’anciens territoires colonisés du Sud, tandis que les grands pays consommateurs sont souvent d’anciennes puissances coloniales du Nord. Ces marchés sont aujourd’hui dominés par quelques multinationales occidentales (Nestlé, Mondelez, Hershley, Ferrero, , Lindt et Sprüngli, etc.), qui en tirent l’essentiel des profits — au détriment de millions de petits producteurs du Sud.


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